Billets d'Humeur

Les brèves (pas tant que ça !) de la mouette rieuse

Comment rater à coup sûr son projet d’Excellence Opérationnelle

Après de nombreuses interventions et encore de plus nombreux audits, je ne résiste pas à partager ce qui pourrait expliquer que près de 75% des entreprises qui ont engagé une démarche d’excellence opérationnelle fassent le constat cuisant d’un échec (lean lab staff) ! Oh, pas vraiment acté cet échec, ni non plus admis, moins encore analysé : simplement usé, dilué dans le quotidien qui n’avait d’ailleurs jamais vraiment su céder sa place ; pas délibérément abandonné, mais délaissé.

A mon sens, il y a dans ces entreprises-là quelques attitudes communes, cinq d’après mes instantanés mis en perspective, qu’il peut être judicieux de prendre en compte avant de se lancer ou après avoir accepté l’idée de remettre le fil sur l’ouvrage, à moins d’y être contraint par l’anxiété du dépôt de bilan. Mais dans ce dernier cas, allumez un gros cierge, acceptez un conseil expérimenté qui ose vous bousculer et… priez, avec ferveur après avoir lu ces quelques lignes.

Il me semble que, malgré la gravité et le sérieux du sujet, pris sous le signe de l’humour et de l’autodérision, l’analyse des cinq causes d’échec des projets d’excellence opérationnelle, pourrait laisser entrer insidieusement, tel un sourire, quelques images susceptibles de fissurer les certitudes qui y ont conduit. Comment rater à coup sûr son projet à l’instar des « 160 loi de Chalvin ou l’art de saborder sa vie professionnelle » qui dans le même esprit démontrait par la dérision, ce second degré sans lequel l’égo ne sait pas se remettre en question, les conduites à ne pas tenir en affirmant son contraire ! La bonne blague….

Vous allez donc, à coup sûr, rater votre projet d’excellence industrielle :

1. En diffusant et en partageant abondamment les alibis contre l’innovation :
Epargnez-vous le temps d’en faire la liste, elle existe déjà. Certes, elle n’est pas exhaustive mais la plupart, les plus efficaces, y sont clairement repérés : je n’ai pas le temps et sa variante, ce n’est pas le moment, on a toujours fait comme ça et son corollaire, chez nous c’est particulier, ça va changer trop de choses renforcé par nos gens ne seront pas d’accord, ou le fataliste on a tout essayé, qui trouve ses excuses dans ce sentencieux c’est trop compliqué ! Autant d’excellents justificatifs qui impriment de façon indélébile « l’impossibilitique » cette extraordinaire matière qui ne s’apprend pas à l’école mais qui contrairement aux mathématiques, est innée chez la plupart des collaborateurs de l’entreprise à commencer par ses dirigeants. On s’y améliore sans effort particulier ni concentration spécifique, sans plus de cours magistraux non plus d’ailleurs, simplement au fil de notre histoire et de nos expériences confrontées à une certaine fatalité. Mais force est de constater de réels progrès sensibles et ceci uniformément. Si vous voulez rater votre démarche d’excellence opérationnelle, surtout persévérez dans cette fatalité et accrochez-vous aux alibis. Fermement !

2. Changez les autres mais surtout pas vous : qui garderait la maison ?
Le risque réel et avéré de cette « tentation » d’excellence est la perte de vos repères. Si vous changez de paradigme, si vous changez de référentiel, si vous changez de processus, si vous changez la présentation de vos comptes de résultats en y intégrant les causes des écarts par exemple, si vous changez votre façon de concevoir le management, si vous changez vous, qui serez-vous ? On ne vous reconnaîtra plus, ce qui était inacceptable le deviendra, vos collaborateurs vont y perdre le peu de latin dont ils disposent et qui saura encore garantir les résultats : si maigres soient-ils au moins vous en avez. Certes ils se dégradent régulièrement, mais c’est faute à la conjoncture. Gardez-vous donc de vous changer vous. Demandez avec insistance à vos collaborateurs d’essayer, eux, pour voir, et houspillez-les s’ils résistent au changement, eux. Vous aurez facile de leur reprocher leur timidité en la matière, voire leur manque de conviction en vous contentant de leur demander de changer sans leur dire quoi, mieux encore, pourquoi : d’ailleurs la nécessité saute aux yeux, alors à quoi bon y perdre du temps. Tous les discours parlent d’agilité, voilà donc un maître mot nécessaire et suffisant pour eux. Mais vous, dirigeants, gardez-vous en comme de la peste : qui garde le temple pendant que tout le monde s’agite?

3. N’installez pas d’indicateur de progrès de vos processus !
A l’image des régimes si vertueux soient-ils, aucune balance ou mesure régulière ne fait d’autre constat que celui d’un yoyo désespérant voire démobilisateur. Alors à quoi bon s’embarrasser d’un nième indicateur commun, de surcroît, sur lequel personne n’a directement la main : Indicateur d’amélioration de la performance comme si le résultat financier n’y suffisait pas ! C’est quand même lui le juge de paix, non ? Puisque vous dites, vous les grands prêtres du management que la réelle richesse de l’entreprise ce sont ses Hommes, ce sont bien eux qui font ces résultats. Certes, ils ne sont pas réguliers, certes ils dépendent pour partie de la disponibilité des quelques fidèles cadors forgés à l’école de l’entreprise, mais ceux-là sont identifiés et ils y trouvent leur compte. On ne va pas quand même encore leur demander des explications supplémentaires. On compte sur eux et ils nous le rendent bien ? Et s’ils ne sont pas disponibles, d’abord ce n’est jamais pour longtemps, et on fait avec comme on a toujours fait ; si c’est pire, on met tous un coup de collier parce que « ça va le faire !… » Comme toujours.

4. Ne perdez pas de temps à installer des standards.
Préservez aussi longtemps que possible vos tâches à non-valeur ajoutée pour le Client, car ce sont elles qui constituent votre spécificité et contiennent votre savoir-faire original. Pensez donc, s’il vous venait l’idée de remettre en question leur utilité, voire leur contribution à la valeur de vos produits aux yeux du vos clients, il pourrait survenir des idées folles à certains aux risques de remettre en question des compétences et donner du grain à moudre aux syndicats pour détériorer le climat social : nous ne sommes pas dans une mise en scène hollywoodienne dans laquelle quelques héros bien trempés se sacrifient pour la survie du groupe ! Non, c’est de l’emploi dont il est question, même pas des fictifs, des « on a toujours fait comme ça ». Certes se sont des transferts, des changements de présentation, des tableaux pour des analyses potentielles qui n’aboutissent pas à des décisions explicites, des attentes et des stockages, mais c’est toute notre façon de penser et de faire le travail. Pensez, s’il fallait remettre tout cela en question, où donc cela nous mènera-t-il ? Vous vous imaginez le chambardement que cela risque de provoquer ? Vous allez y perdre votre culture d’entreprise. Non, surtout n’imaginez pas de la mettre en standard : c’est quasiment un mot grossier le mot standard dans votre métier. On voit bien que vous n’en êtes pas ! Alors l’amélioration continue, d’accord, mais sans les processus standards, le savoir-faire par tradition.

5. Ne perdez pas de temps non plus à former votre personnel :
Dès que vous l‘aurez lue, gommez énergiquement ma citation de Prud’hon : « un homme qui a fini d’apprendre est déjà un petit peu mort ! ». Dès fois qu’ils leur viendraient des idées de découvrir que l’eau chaude est distribuée en réseau, eux qui viennent d’imaginer comment produire l’eau tiède ! J’allais l’oublier, non plus ne perdez de temps à leur en donner pour recueillir leurs idées et leur proposer de contribuer à résoudre les problèmes : que deviendraient celles de vos brillants ingénieurs recrutés avec les diplômes qui vont bien et payés pour cela ? Non mais, ce serait le monde à l’envers. Continuez donc à faire confiance à l’UGS, l’Université du Gai Savoir, plus connue sous le nom d’expérience, celle où sans professeur ni cours magistraux, on apprend si bien et si vite comment rater un service, fabriquer un défaut ou déclencher un retard… ? Certes, les temps sont plus durs et les circonstances plus hostiles, mais vous en avez vu d’autres, non ? Ah, pas comme celles-là ? Le client qui a le choix et qui n’est plus aussi fidèle ? Des concessions, allons donc, est-ce bien raisonnable ? Pardon ? Irréprochables, indémodables, incontournables : voilà Monsieur votre crédo : les trois i de rigidité. Rigoureusement !

second degré, non,simple dérision?

D’aucun saura au-delà de la dérision, comprendre ce dont il est question. Tout le monde sait que seuls les bébés mouillés aiment le changement, les autres, tous les autres, ont besoin de motif, de méthodes et de beaucoup de patiente bienveillance pour y trouver de nouveaux équilibres aussi motivants qu’éphémères, puisqu’ à peine atteints, le processus redémarre. Continuellement.

Si vous les rencontrez, évitez les Nils ou les Luc, rattrapés par leur hiérarchie, ou vérifiez auprès de Pascal, il saura vous dire combien il est inconfortable de ramer une pagaïe dans l’eau et l’autre dans le sable ! Mais si vous avez la chance de croiser Marc ou Jean- Marie, imprégnez-vous aussi longuement que possible de leur façon de voir l’Excellence : eux, contrairement à la CGT qui dynamite l’opinion public, eux ont dynamités leurs prix de revient avec tous leurs collaborateurs et ont fait changer d’avis leur Direction Générale sur la stratégie de fermeture de leur usine parce qu’ils ont voulu et su produire moins chers que les Chinois ou que les Turcs. C’est au milieu du Monde que cela se passe, en regardant la carte avec les Amériques à gauche et la Chine et le Japon à droite : en Bretagne, des irréductibles qui résistent encore et toujours….
Ils ont fait tout le contraire pour ne pas rater leur projet d’excellence opérationnelle en multipliant leur production par trois, tout en divisant le nombre de m2 utiles par quatre et le nombre de collaborateurs pour les produire par quatre aussi: sans cri, sans larme, sans conflit… comme dans un film d’Hollywood où des héros…. Parce que c’est la vraie Vie. L’adaptation.

– Quelle attitude adopter devant la complexité, Maître ?
– Celle de Décartes, la décomposer en autant de problèmes simples, Disciple.
– Mais qu’advient-il alors de la globalité, Maître ?
– Comment embrasses-tu une foule, Disciple ?

Gérard Leidinger

Posté le 26 juin 2017
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