Billets d'Humeur

Les brèves (pas tant que ça !) de la mouette rieuse

Pourquoi les meilleurs sont-ils devant ?

Les métiers sont de plus en plus complexes à exercer dans un monde de plus en plus instable et les Hommes sont de plus en plus exigeants dans ce qu’ils en attendent. Demain, à n’en pas douter, tous les trois le seront davantage encore dans cette atmosphère qui s’emballe.
A nous entendre nous en plaindre, nous voilà résignés ou presque, dans ces délicates fatalités avec lesquelles on s‘explique toute notre approximation : pas le temps ! Impossible chez nous ! Trop compliqué !...

Elles sont si communément utilisées, qu’elles en sont devenues de vrais coupables, excellents alibis contre l’innovation au demeurant. Tenez, prenez le temps par exemple : excellent coupable consentant, très pratique, tout le monde le désigne comme le responsable du retard, de la précipitation, du stress… Et aucun procès à son encontre. Même, comme tout le monde s’en sert, il en est devenu tellement crédible qu’il n’y a aucune contestation, juste un peu de dépit : pas de chance. Pour sûr ! Et comme s’il n’y suffisait pas, on cherche à en gagner dans le grand emballement de la course à l’instantané : Paris–Lyon en 2h de TGV. Mais en toute objectivité, est-ce que ce temps gagné a limité le recours au synthétique « je n’ai pas eu le temps » de ses voyageurs ? Alors on y ordonnance des priorités, des clés de gestion du temps pour le remplir mieux, comme si le rendement devenait l’essence du temps. On y distingue l‘urgent et l’important, de façon à donner plus de place pour jongler avec les exigences du milieu dans lequel on évolue, celles des autres en priorité, pour ne pas décevoir, plus pour essayer d’être le meilleur. Mais à l’heure de l’information instantanée, la submersion est inévitable, regardez votre boite mail : le flux est si dense et si précipité, si diversifié et si changeant que le coupable est plus que parfait pour ne pas avoir répondu à temps. Mais rien n’y changera dans cette voie-là. Et si nous faisions confiance à notre instinct, puisqu’on n’a pas le temps de faire autrement ?

 

Je ne sais pas si j’en avais conscience, en tous cas, je n’en ai pas le souvenir. Aujourd’hui quand j’observe mes petits-enfants apprendre à marcher, je me dis qu’il y a une fatalité qu’ils doivent surmonter à chaque instant, c’est le « impossible !… » De me tenir debout ! De lever un pied sans basculer de l’autre côté ! De ramener l’autre sans plonger le nez dans la moquette, si ce n’est le carrelage ! Et papa qui, à côté, regarde la scène en s’exclamant dépité : « mais qui m’a fait un fils aussi gauche ? » Non, bien sûr, il y va de ses encouragements : bravo, mon fils, relève-toi, tu vas y arriver ! Il sait que l’échec n’est qu’une leçon qui montre comment je ne dois pas faire ! Et puis, je suis debout ! Je tiens ! Je lève le pied et je tiens… Je marche vers la bougie du salon ! Impossible ? Mais, si…

Avons-nous tout oublié pour qu’à la première contrariété, le premier échec, on s’arrête. On passe à autre chose, on s’exclame sur son collaborateur d’un « mais qui m’a fait un manche pareil ! ». On jette l’éponge en disant dépité : c’est impossible ! Est-ce encore un coup du temps, cet intrigant, qui vient tout gâcher pour ne pas nous laisser apprendre ou est-ce notre impatience qui nous réoriente ou nous fait espérer une hypothétique solution instantanée, comme un café soluble : « 3ème rayon sur votre gauche, après les paquets de Bonne Humeur ». Mais, pour apprendre à marcher, personne ne nous a imposé un timing serré, donné d’ultimatum ou donné rendez-vous… Est-ce que dans nos « impossibles », il n’y aurait pas une bonne dose de « tout de suite » qui vient en plus, gâcher le processus ? Dans l’Odyssée de l’évolution, ce sont les inventions impossibles qui ont fait avancer les choses : l’écriture, le papier, l’imprimerie, l’informatique,… Mais elles ont pris leur temps, avec tout ce qu’il a fallu inventer avec ! Et si nous faisions confiance à notre instinct pour en faire autant ?

 

L’instinct, cette capacité de discernement : la capacité de percevoir les influences racines dans les faits et dans les choses qui surviennent. La capacité de laisser décanter le doute, car si peu de décisions sont vraiment urgentes si vous n’êtes pas médecin urgentiste. Observez les sédiments charriés par l’eau en colère se déposer au fond quand elle attend. La capacité de s’amuser dans ce que l’on fait car s’amuser ne signifie pas que frivole, ne signifie pas que rire. S’amuser peut aussi être sérieux. Observez-vous quand vous prenez du plaisir dans votre travail n’est-ce pas un amusement, au fond et vous n’avez plus une seule notion de temps ? Mais surtout, ce plaisir trahit que vous êtes en adéquation avec ce que vous êtes, instinctivement. Et si donc l’on osait l’instant de cette brève faire place à l’instinct, le discernement, devant ces fatalités ? Alors tant qu’à faire, allons-y donc franchement : et si ces « fatalités » n’étaient en fait que des suppositions ?

– tu supposes que les choses vont bien tourner et elles ne tournent pas bien : tu appelles cela de la « malchance » !

– tu supposes que les choses vont mal tourner et elles ne tournent pas mal : tu appelles cela de la « chance »,

– tu supposes que certaines choses vont arriver et elles n’arrivent pas, tu appelles cela de « l’injustice »,

– tu supposes que certaines choses ne vont pas arriver, et elles arrivent quand même, tu appelles cela un « accident ».

Vu au travers de ces quatre suppositions rapportées de la tradition soufie, ce que nous faisons n’est pas ce que nous vivons, ce sont bien des histoires que l’on se raconte. Quand vous dites « il faut que je le fasse », c’est qui ce « il » qui vous commande ou, plus prosaïquement, qui vous « emmerde » ?

A en croire l’Odyssée, la seule chose effective qu’il faut dans la vie, c’est celle de mourir : tôt ou tard, on finit comme cela. En saupoudrant notre vie de suppositions ou de fatalités, la tendance est de se brimer dans ses imites apparentes et de s’y résigner, d’où ces fatidiques pas le temps ! Il faut ! Faut-il arrêter de fumer ou je veux arrêter de fumer ? Se dire il faut que j’arrête, c’est déjà, en quelque sorte, démissionner de sa propre volonté. Mais qui décide d’acheter le paquet de cigarette ? De porter la cigarette à la bouche ? De créer la flamme? Et si c’était cette déconstruction, vouloir vraiment régler un problème ou atteindre un but ?

 

Bien sûr, si en plus d’être simple, c’était facile, il n’y aurait que des premiers ex aequo !  Si les meilleurs sont devant, c’est qu’ils ont, sans doute, remplacé « il faut » par « je veux ». Sans doute qu’ils se le construisent et se le font, aussi, en faisant confiance à leur instinct pour ne pas se résigner aux supposées fatalités : lever un pied sans tomber, puis l’autre et tomber –malchance ?-, se relever et essayer encore, retomber –accident – ?, encore,… Vas- y, mon fils ! –chance ?- Le temps qu’il faut… -injustice ?

 

  • Mais comment ne pas se résigner aux fatalités, Maître ?
  • En examinant les suppositions qui les sous-tendent, Disciple !
  • Mais comment identifier une supposition, Maître ?
  • Pour grimper aux arbres avec agilité, mange des bananes, Disciple !

 

Gérard Leidinger

Posté le 11 février 2016
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