Billets d'Humeur
Les brèves (pas tant que ça !) de la mouette rieuse
Char à voile : du vent pour faire quoi ?
On peut aisément pardonner à l’enfant d’avoir peur de l’obscurité. La vraie tragédie, c’est lorsque les hommes ont peur de la lumière ! disait Platon. En lisant, entre autres, l’article de Salomé Saqué sur LinkedIn qui réagit sur la polémique du char à voile et tous les commentaires indignés, les plus nombreux, ou plus nuancés, parce qu’indécis, qu’ils inspirent, c’est à cette phrase de Platon que je pensais.
https://www.linkedin.com/feed/update/urn:li:activity:6972886113661165568/
Car s’il est bien un intérêt à cette levée de bouclier émotionnelle et moralisatrice, c’est la mise en évidence de cette peur à devoir imaginer les choses bien autrement que nous nous les sommes forgées. L’insouciance nous a moulés dans un clivage aussi stérile qu’exploité entre nantis et besogneux pour lesquels subsistait l’espérance folle du pourquoi pas moi, comme une évidence possible entretenue par le hasard des circonstances, des dons et des mythes. Pour preuve, le football lui-même, et ses nantis, issus du monde besogneux !
Et voilà que toute cette machinerie, exploitant sans la moindre once d’humanité hormis celle de l’impérieuse nécessité de passion de ses adeptes jusqu’à la déraison et sans le moindre respect pour les équités pour amplifier encore la procuration sur laquelle le mythe repose, percute de plein fouet le mur de l’opinion toujours prête à déborder comme le lait sur le feu quand on ne s’y attend pas : un char à voile, comme un aveu d’impuissance inavouable au risque de ramer sur le sable de l’improvisation d’une réponse, peut-être encore en projet, et détourné par une image sensée être rigolote, chahutée par un vent d’irrésolu tout aussi inachevable qu’indigné. Une fois qu’ils auront pris le train, on joue les matchs le dimanche après-midi pour limiter l’éclairage, les supporters vont au stade à vélo, les maillots sont « made in local », et les sponsors affichent la sobriété en ringardisant la mode ? C’est ça le film de la transition écologique dans le football ?
Pourquoi là ? Parce que Vincent avait labouré pour le Qatar, parce que les incendies de forêt de l’été, parce que le coup de sifflet du Président de la fin du match de l’abondance, parce que la flambée des prix de l’énergie, parce que, d’un coup, plus intuitive que raisonnée, l’Opinion s’émeut et glisse dans la peur, pas de l’obscurité qui lui cache ce qu’il advient du monde, mais des contours qui se dessinent et qui lui enlèvent toutes les folles espérances du pourquoi pas moi. Alors l’indignation se crispe en un pourquoi pas eux, sans oser tirer sur la ficelle de la pelote jusqu’au jus d’une leçon pour construire ce qu’il doit advenir des changements qui nous rongent. Partout. Sans vue d’ensemble ni de coordination, il n’y aura que des atermoiements stériles et clivants, puisque insolvables sans critères consensuels ni le projet que l’Humanité ne s’est jamais donné pour décider de son Evolution. La peur, fondamentale, est la prise de conscience intuitive mais encore trop sélective qu’avec le désordre politique mondial, il n’est aucune chance de devoir espérer autre chose que l’effondrement du système imparfait, certes, mais, doux.
Mais plus pour longtemps !
– est-ce la notoriété acquise par l’émotion produite par l’art de taper dans un ballon pour rien qui est à reconsidérer sous l’angle de la fin de l’abondance, et dans ce cas, reconsidérer le concept du football lui-même jusqu’à la coupe du monde pour éviter les trajets (et plus pour celle au Qatar) ?
– est-ce l’incongruité du jeu, et celle des autres (rugby, tennis, .,,.) par la vacuité qu’il distille et l’inutilité à la subsistance de la collectivité alors qu’ils adoucissent le désœuvrement probable qui nous guette puisqu’avec la sobriété, il n’y aura plus assez de travail (utile) pour permettre à tout le monde de survivre ?
– est-ce enfin la désespérance de se voir à nouveau confrontés à l’inconfort et à l’incertitude de ce qu’il advient du monde d’évidence dans lequel on a cru, qui nous pousse à nous exprimer pour avoir le sentiment d’exister un peu quand même et de se donner bonne conscience au moins à défaut de savoir comment et pour quel projet se prendre en mains ? Indignés ? Très bien ! Moralistes ? Comme il vous plaît ! Mais pour faire quoi ?
Chers commentateurs de toute obédience, passez, de grâce, de l’indignation à la proposition, car pour la première fois sans doute, en dehors des Amish qui, eux, l’ont fait, au siècle dernier, nous pouvons choisir en conscience, ce qu’il doit advenir de nous. Plutôt que de continuer à subir la loi du Marché et à confier notre destin aux mains caudines du Hasard et des Pouvoirs qui n’ont que notre soumission pour légitimité, « Nul ne peut t’imposer un sentiment d’infériorité sans ta permission » nous avait pourtant dit Eleanor Roosevelt.
Comme ils ont pris la peine de proposer un plan, prenons celui de The Shift Project, et même s’il n’est pas parfait, on se met en marche avec lui et on l’améliore, au besoin, en faisant. Mieux sera nécessairement l’ennemi du bien vu l’urgence et les indécisions. Nous sommes en guerre pour le Climat, alors Politiques de tout bord et de toute obédience, lâchez vos barbecues, vos pouvoirs d’achats et vos clivages artificiels, trop piteux relents du monde de l’abondance que nous devons quitter, pour coordonner de concert nos engagements au risque de tout compromettre : on commence par arrêter de manger de la viande ou on repositionne d’abord les éleveurs et la filière pour ne « tuer » personne ? On commence par arrêter la mode et l’éphémère ou on arrête d’abord la spéculation pour assurer la subsistance raisonnable et décente à tout le monde ? On arrête l’accroissement de la démographie ou on redéfinit le mode de vie sobre compatible avec la biodiversité et les exigences climatiques de la Planète ? On donne à tous ceux qui n’ont pas assez, de quoi répondre à leur nécessaire décent et les pays du Tiers-monde d’avant se trouvent donc instantanément ou presque à niveau des autres, eux, par sobriété ou on fait le pari de rendre Mars habitable pour un très sélectif plan B ? Avantage, certain, du partage, anéantir sur la planète entière le besoin et l’envie de recourir à la guerre pour espérer une domination et un pouvoir sur les ponctions (pétrole, gaz, métaux,) redevenus, par simple décision délibérée, de simples outils d’utilité et non plus des objets de spéculation sordides d’un jeu de gaspillages et de dupes.
Il n’y a pas assez de place de riches pour tous les habitants de la Planète avec ce qu’elle peut nous donner sans la dégrader, mais il y a assez de place pour Vivre Bien, tous, en la préservant, avec la sobriété, le respect et la raison.
Homme, que fais-tu de ce que tu sais au lieu de te perdre dans ce qui te ruine ?
Gérard Leidinger
Auteur de
Clitoyens, prenons en main notre Vivre Bien