Billets d'Humeur
Les brèves (pas tant que ça !) de la mouette rieuse
Chercher du sens, un Non-sens ?
Sur la mer des circonstances, l’accumulation des ressacs des actualités, des connaissances et des émotions vient saper les falaises de nos certitudes et de nos repères. Elle finit par ébranler nos croyances au point de nous interpeler sur le sens de notre histoire : l’emploi, les relations, le système, les valeurs et le récit lui-même auxquels on est tant attachés, troublés par l’ombre de notre éternelle angoisse de l’après, en plus écologique depuis ! Nous avons perdu Dieu en cours de route, la science ne sait pas où elle nous mène et nos désillusions nous font errer sur les pavés. Mais si en chercher un sens était un non-sens ?
Pourquoi la quête ?
A en croire les traces laissées dans les passages de son existence et des organisations respectives qu’il s’y est données pour se conduire, Sapiens semble s’être inquiété très tôt dans sa conscience d’être vivant, de pouvoir la raccrocher à une histoire. Si les vestiges auxquels le temps nous a donné accès relatent, semble-t-il, principalement les réponses données à son angoisse de l’après, il s’est longtemps rassuré en se définissant aussi comme le produit d’un monde supérieur qui lui dictait sa conduite et sa finalité. Faute de moyens de lecture et envahit par son besoin de se donner un rôle dans un récit, il échafauda partout des croyances et ses rituels pour les rendre visibles et fonder leur respect. Depuis le feu qui mangeait tout sur son passage, aux ombres qui le hantaient sur les murs des cavernes, au vent qui mugissait dans les arbres, voire de l’énergie qui fait que le blé pousse, il a satisfait ce besoin de reconnaissance pouvant justifier ainsi la communauté par une croyance partagée dans le récit qu’ils matérialisaient.
Il y a justement cette marche intermédiaire à y comprendre, celle d’avoir su concevoir une abstraction ou dessiner les contours de quelque chose qui n’existe pas au sens contraire à ces choses auxquelles l’un des sens au moins peut se confronter pour être réelle. Le feu me brûle les doigts, mais je ne vois, ni n’entends, ni ne sens, ni ne goute l’esprit qui s’y tapit. Je l’imagine ! C’est cette capacité de conception d’une identité abstraite qui donna foi à la notion de Dieu, celle de clan, de tribu jusqu’au royaume, et plus tard l’entreprise. Comme sur d’autres plans, la valeur puis la monnaie, jusqu’à se poser la question de la destinée : jamais de façon linéaire mais dans une logique disruptive de causes à effet, dans un foisonnement aussi improvisé que chaotique, aussi contradictoire qu’expérimental, se consolidant autant par la barbarie des convoitises que par les appétits d’intérêts. L’une et l’autre donnant d’ailleurs du sens aux interrogations et aux besoins de comprendre qui nous a conduit jusqu’ici.
Le bon sens : entre naître et mourir !
Les Égyptiens avaient synthétisé les choses en répondant à la question du sens par « ce vers quoi les choses tendent ». Ils avaient même eu la sagesse de faire les différences pour les trois mondes qui constituent l’univers : la transformation par les éléments pour le monde minéral, la transformation par la recherche de nourriture et la reproduction assistée pour le monde végétal, la transformation par la recherche de nourriture et la reproduction avec le déplacement pour le monde animal, en y conférant à l’espèce humaine, la transformation spirituelle dont ils l’ont dotée. Nous n’avons pas fondamentalement trouvé quelque chose à y redire sur le fond sauf à lapider des succédanés de croyance par la Connaissance que l’acceptation de notre ignorance nous a poussé à générer, une fois que nous avions compris qu’il valait mieux compter sur nous-mêmes pour faire face aux calamités plutôt qu’aux prières aux Dieux dont on n’avait toujours par trouvé la moindre trace de preuve, et après avoir bien douté d’eux pour leur inconfortable exigence et leur sainte inefficacité.
Ce qui nous autorise donc à accepter que le Big Bang est une explication plus convaincante que l’argile d’Adam et que si l’on veut se raccrocher à l’éternité malgré tout, on lui donnera quand même des limites entre, au moins, les débuts du soleil et sa fin puisque le morceau d’univers dans lequel nous existons doit s’éteindre avec lui, dit la science et ses calculs.
Le contre-sens : non, je ne suis pas de trop !
Je n’irai pas jusqu’à en déduire comme Sartre dans la nausée, que nous sommes de trop, par défaut de relation de cause à effet et par mépris en quelque sorte de l’explication darwinienne, ou m’enflammer comme Nietzsche quand il affirme que « c’est l’homme qui a donné de la valeur aux choses ! ». Comme bien d’autres philosophes, ils s’expliquent les circonstances et nos interactions avec le même souci d’un récit auquel se raccrocher pour s’y donner ce rôle de l’obsession initiale. Même Sartre s’en donne un, ubuesque, certes, ce personnage de trop dans le récit, à l’image d’une scène de ces nombreux dessins animés de Tex Avery quand apparait une surprise qui n’a rien à voir avec l’histoire. Sauf pour faire rire ! La biodiversité n’apprécie pas, je crois, Sapiens pour faire rire !
A ces réflexions, je préfère celle de Jacques Monod quand il dit dans Le hasard et la nécessité : « L’homme sait enfin qu’il est seul dans l’immensité indifférente de l’Univers d’où il a émergé par hasard. Non plus que son destin, son devoir n’est écrit nulle part. » Pour certains probablement nombreux, il peut s’agir d’une approche très défaitiste des choses pouvant aller jusqu’à briser l’enthousiasme de ceux qui ont toujours besoin de ce récit pour s’animer. Mais s’ils admettent l’espace d’une seule seconde, qu’il n’est la plupart du temps que le fruit d’une croyance infondée reposant sur des convictions fabriquées par des esprits humains et non divins, ils régénèreront le terreau de leur culture pour planter, sûrement, ce qui doit advenir d’eux.
Le non-sens : c’est de chercher au lieu de donner !
En effet, dès lors que l’on admet que nous sommes seuls, émergés du hasard dont ni le destin ni le devoir ne sont écrits, voilà qui nous donne cette immense possibilité qu’au lieu de le chercher dans les arcanes d’une improbable volonté divine, dans les plans d’une inconsistante destinée céleste ou encore dans les turpitudes d’une indécente bataille entre le Bien et le Mal, il nous suffit de le choisir. Et même pour ce choix, les choses sont bien plus simples qu’il n’y parait parce que les clés ne sont pas existentialistes, mais bel et bien, matérielles donc, palpables, entre souffrance et plaisir.
Vous vous rappelez sans doute cette phrase d’Oscar Wilde « ne cherche pas à devenir quelqu’un d’autre les places sont déjà prises ? ». C’est elle qui nous met sur la voie des clés :
1. Vous vous êtes forgés avec ce que vous aimez déjà et ce que vous n’aimez pas encore,
2. Vous naviguez avec ce que vous savez déjà et ce que vous ne savez pas encore,
3. Vous décidez avec ce que vous pouvez déjà et ce que vous ne pouvez pas encore.
Pour donner du sens à votre récit, prenez la peine de l’écrire en puisant dans ces trois clés chez vous, ce sera plus efficace de le vouloir que de le chercher partout ailleurs.
– T’inquiètes, tu vas t’y faire !
– Non, car le job est trop dénué de sens !
– Mais que lui manque-t-il pour qu’il en est un ?
– Difficile de lui en donner un à casser des cailloux !
– Et si tu te disais que ce n’est qu’un moyen pour pouvoir réaliser tes projets ? Mais tu peux te dire aussi que tu tailles des pierres pour construire une cathédrale ?
Gérard Leidinger
Auteur de Citoyens, prenons en main notre Vivre Bien