Billets d'Humeur
Les brèves (pas tant que ça !) de la mouette rieuse
De l’Extinction des Insectes à celle de la Pensée…
Il n’est de jours, qu’un chercheur spécialisé ne nous rapporte le constat brutal d’une extinction en cours d’un segment du Vivant. Qui de s’inquiéter du dernier rhinocéros blanc ou de l’absence de moustiques sur le pare-brise de sa voiture ? Notre mode de vie, sa chimie et son asservissement au dieu argent détruisent irrémédiablement ce qui a nourrit notre évolution et gangrène maintenant par ricochet jusqu’à notre capacité de penser.
Difficile, en effet, de ne pas faire le raccourci lisible dans la relation de cause à effet de la désintégration du sens avec celui du Vivant. Élaboré au rythme des consciences et des confrontations du temps où les Cultures se renvoyaient le balancier des Équilibres, il me semble que depuis que l‘on a pu être séduit par le discours d’un Trump pour conduire un pays ou à un Brexit pour s’éconduire d’une amicale communauté, on se soit privé du dernier récit auquel pouvoir se raccrocher.
L’extinction des récits
A l’appui du livre de Yuval Harari*, à qui j’emprunte l’image du titre de mon article, et même s’il ne s’agit que de l’expression de mes peurs d’impuissance et d’incertitude, le tracé du monde qui s’écoule, m’impose un récit dubitatif qui cherche une contradiction pour retrouver le seuil de retour dans le mouvement de balancier qui me semble être allé au-delà.
En 1938, pour aller à l’essentiel, les Hommes avaient le choix entre trois grands récits pour se raconter l’histoire de leur choix : le récit fasciste, le récit communiste et le récit libéral. C’est la victoire de Alliés qui mit fin au récit fasciste, même si des résurgences renaissent par dépit.
Jusqu’en 1989, il n’y a en avait plus que deux, quand le communisme s’est effondré de l’intérieur, mur bousculé par la soif de liberté à laquelle ses peuples frustrés ont aspiré eux aussi en observant le récit Libéral plus tentant.
Promis à une expansion sans partage, ce récit libéral s’est lui-aussi délité par l’accumulation des désillusions de ses adeptes lassés par ses promesses finalement inaccessibles. La cristallisation du discours trompeur d’un Trump leur redonnant la fierté mémorable du vieux monde et de ses privilèges d’utilité, de race et de nation, leur permis de décréter que le libéralisme était en fait qu’un même leurre que les autres, celui-là au profit insolent de l’élite dont ils avaient pris conscience d’être définitivement exclus. Identité d’un procès, mais pas d’un projet. Le Brexit l’officialisa ici.
Depuis 2016, il n’y a donc plus de récit et la configuration du panorama politique français est une singulière illustration de leurs absences : les discours s’égrènent en raboutant des morceaux tirés des récits initiaux incompatibles entre eux : le récit communiste démuni de son industrie exploitante qui l’avait soudé se mue dans un repli sur le vieux monde qui vote RN/Trump. L’écologiste, lui, intègre un discours fachiste pour imposer convaincu sa vérité justifiée car salvatrice. Les résidus libéraux se réclament décontenancés d’un bilan moins sinistre que les autres pour justifier, eux, leur obstination. Les Inconsolés soumis à leur révolte initiale se dispersent entre solidarité et assistanat en vociférant contre mais sans récit pour, eux non plus.
Se retrouver ainsi, dépourvu de ce à quoi se raccrocher, est terrifiant. Plus rien n’a de sens !
L’extinction des équilibres naturels
Quand Adam Smith organise la démultiplication des petits pains de la productivité, il amorce l’autre processus d’extinction par les Hommes, celui des équilibres naturels qui préservent le Vivant dans son environnement. Pour aller à l’essentiel : le déséquilibre des tâches, le déséquilibre des ressources et le déséquilibre des pouvoirs. Contrairement aux récits qui coexistaient, l’extinction des équilibres s’est succédé dans leur dérive respective de grossière à fourbe jusqu’à inéquitable, à chaque fois.
Le déséquilibre des tâches dans la Nature puis entre les Hommes dont le fordisme fut un point d’orgue, déroula plus ou moins logiquement une société de « distribution » des profits et des biens matériels qui entraîna une société de consommation généreuse et insouciante. Elle démarra en Angleterre en 1769 avec la machine à vapeur de James Watt associée à la navette volante de John Kay avec lesquelles elle développa son industrie textile. Avec son charbon, elle put l’exporter grâce à l’importation de denrées alimentaires depuis ses colonies et l’exploitation de l’esclavagisme pour nourrir son peuple et compenser ainsi sa préférence de l’industrie à l’agriculture. Les autres pays « coloniaux » lui ont emboité le pas jusqu’à installer la mondialisation, cette cote mal taillée sur les différences d’Évolution des peuples et de leur appétit qui sévit encore de nos jours et trouble les projections. Jusqu’en 1974, où l’inversion des courbes de l’offre qui dépasse alors la demande, signa sa fin, marquée par la première secousse pétrolière, mais chez les nantis.
Noyautée par les matières de leurs sous-sols respectifs, les Nations s’y sont appuyées pour se distribuer les « rôles » dans cette mondialisation des ressources comme autrefois on avait distribué les tâches dans l’industrie. Les déséquilibres se sont fixés à un autre niveau, déracinant, entre autres, l’industrie qui avait tant soudé le récit communiste. Mais sur les affiches des propagandes, les Hommes se reconnaissaient toujours comme héros de la production de PIB ou, au moins, comme héros probables de la consommation, pouvaient-ils encore croire ! Certes, à l’échelle de la Planète, la propagande était indécente de déséquilibres, puisqu’en même temps, les pouvoirs changeaient des mains des Nations à celles des Géants transversaux du Marché via Internet : 1989 !
Pourtant alerté par l’observation des impacts de l’activité Humaine sur l’environnement dès 1972 par le fameux rapport Meadows, le monde s’est empressé de plonger la tête dans le sable même au regard inquiétant des courbes, pour ne rien changer à son récit insouciant rescapé mais intubé. On qualifia de crises les secousses brutales du système gangréné pour faire accepter le dos rond aux peuples, le temps qu’elles passent. On entretient l’appétit malgré tout en affichant le manque éphémère dans une société d’abondance mal partagé. On maintient le cap. Indûment.
Les limites planétaires passent au rouge unes à unes et une fébrilité inquiète d’un futur incertain plus proche, surtout plus palpable, agite la Planète mais mollement. L’extinction des équilibres naturels est maintenant engagée mais dans l’indifférence générale ou presque. Le jeu des chaises musicales dans le déséquilibre des pouvoirs de puissance s’est finalement muselé dans celui de l’insaisissable Marché en 2008 et la crise des Subprime. Et la course du balancier irréfléchi cristallisa les pensées ainsi atrophiées avec Trump et le Brexit : 2016 !
Depuis le balancier ne revient pas et le monde flotte se cherchant un nouvel équilibre entre Vivant, Sciences et autre chose que le Profit, ce dernier, si difficile à dissoudre, mais sans consensus de cap d’Évolution ni pouvoir de décision à l’échelle requise. Il y a bien quelques résurgences nostalgiques des récits par dépit, là aussi : mais, parmi les pitoyables Poutine, Ayatollahs, Talibans, Daech, Narcotrafiquants, Marché profitant, et cyber-malveillants, pas l’ombre d’un récit de remplacement, pas l’ombre d’un équilibre de préservation !
L’extinction des discernements
Si vous observez bien les affiches des propagandes d’aujourd’hui, comme il n’y a plus ni récit ni équilibres, l’Homme ordinaire ne s’y reconnait plus : il y voit des robots qui sourient et cabriolent, des algorithmes qui décident et choisissent pour lui et des futurs automatisés où l’artificiel intelligent lui renvoie le sinistre message : « dans le monde qui vient, l’Homme est inutile ! »
Tu parles d’un projet sexy !
Alors, l’indispensable décroissance a comme un air de boucherie apocalyptique dans la tambouille irrésolue des extinctions mélangées, à l’image de celle des insectes sous l’effet du glyphosate et de notre domination, comme s’il en allait de même avec nos pensées sous l’effet des griffes des stats et de notre spéculation. Partout dans le monde, le manque de discernement que leur délitement entraîne, dévore le raisonnable et le décent, inexorablement.
Tu parles d’un sens de la Vie !
On finirait par admettre que l’exploitation vaut mieux que l’inutilité.
Demander à ChatGPT de nous dessiner notre futur espéré serait un aveu, non ?
Gérard Leidinger
Auteur de Clitoyens, prenons en main notre Vivre bien
*21 leçons pour le XXIème siècle de Yuval Harari