Billets d'Humeur
Les brèves (pas tant que ça !) de la mouette rieuse
Décider, c’est déjà atteindre à la Liberté ?

Déjà exacerbée par un climat social particulièrement électrique, la frustration ambiante se voit contrainte d’avaler de surcroît, un dispositif inégalement compris comme une réponse crédible et convaincante pour circonscrire en attendant de pourvoir la contrer, la pandémie qui s’est installée sur la planète. Déshabitué à subir des astreintes ou rompu au jeu du pas vu-pas pris pour les contourner, l’opinion se drape d’une aussi épaisse qu’immaculée cape de dédain, outrée par le crime de lèse Liberté qu’elle insupporte de voir peser sur sa jouissance désinhibée.
Que faut-il y comprendre ? Que plus personne ne sait raison garder parce que ceux qui le savent encore sont lapidés par la violence de ceux qui ne savent plus ou que la défiance sourde et profonde qui a gangréné les croyances recroqueville, sans nuance, le tout et son contraire dans des crispations aussi définitives qu’irrésolues. L’inaudible brouhaha de dépits comme l’insupportable fumée d’inconsistances polluent inexorablement le sentiment d’équité à laquelle on se raccroche désespérément comme à la rambarde du Titanic de la Communauté qui vient de se coucher sur le flanc, déséquilibré par les voies d’eau, avant de devoir tout lâcher ! Inévitablement.
Il m’apparait que les voies d’eau n’ont que trois origines et que si l’on veut infléchir le cours des choses, il est peut-être utile d’y creuser un peu de ses mains à soi, dans sa frustration à soi, puisqu’à force de la prêter à tout le monde et n’importe qui, elle n’est plus portée par personne. La violence de la rue, l’impunité des incivilités, voire l’inconsistance des postures, sont là pour en attester.
La frustration de ne pas pouvoir faire confiance
Sur la base des travaux des penseurs et philosophes, je me suis fait une image de la confiance comme étant la combinaison d’une croyance qui porte le crédit nécessaire pour oser choisir d’en dépendre. En effet, si nous n‘avions pas tous confiance dans la notion d’argent, soit parce qu‘on ne le crédite pas de la valeur qu’il est censé représenter, soit parce qu’on ne le croit pas équitable pour tous, soit parce qu’on n’accepte pas de faire dépendre notre transaction de lui, le système sur lequel est construit notre économie ne fonctionnerait pas. Il y a d’ailleurs dans cette acceptation, les procès qui ont poussé à renoncer au troc.
Ainsi, la brutalité de la perte de confiance dans notre système démocratique comme la défiance personnelle pour l’une ou l’autre de ses composantes, mais déchaînée par les mises en doute systématiques des repères que l’on avait eu tant de peines à se forger, nous plongent dans une insupportable frustration de ne même pas pouvoir les contourner : ne plus y croire, ok mais alors à quoi ? Ne plus s’y adosser, ok, mais alors sur quoi ? Ne plus en dépendre, ok, mais alors de personne ? Tu parles d’une frustration : successivement, on a cru en Dieu, au Parti, à la Démocratie, à La République, avec toujours les mêmes désillusions, la perte de confiance. Et voilà le clou de la consternation, on a cru en soi et force est de se rendre à l’évidence de la même désillusion aussi puisqu’il y a doute. Ne plus avoir confiance en soi au point de se draper de dédain aussi définitif qu’irrésolu n’ayant plus même une branche à laquelle s’accrocher, nous contraint à flotter, frustrés !
La frustration de ne pas être dans le processus de décision
Dans un article précédent j’en appelai à cette incompréhension de disposer d’un conduite à tenir officielle, commentée, contredite, amendée, réfutée, voire condamnée par une horde aussi hétéroclite que prolifique au point de douter, aussi. Et qui d’exposer avec force de conviction pour autant que de certitudes étayées, certes, mais par tant de contre-vérités vraisemblables. Et qui de renchérir des hypothèses échafaudées sur des suppositions plausibles mais infondées ou, pire, mal intentionnées. Va trier !
Ainsi, de la compacité aussi hermétique qu’hétéroclite de la définition du problème, découle une autre frustration majeure : l’éviction insupportable du processus de décision. Ignorant de fait les causes apparentes ou profondes, incompétent pour élaborer les projections de ce qu’il peut en advenir, et incapable d’accepter de devoir faire avec les exigences contradictoires qu’elles induisent, nous ne savons pas nous résigner à la discipline par frustration d’éviction de l’information et des choix faits en notre nom. Mais qui sont donc ces prétendus experts à qui l’on doit s’en remettre pour croire aux données ? Mais quelles sont donc ces arcanes du pouvoir à qui l’on doit s’en remettre pour espérer pouvoir nous préserver ? Mais quel est donc ce processus qui y conduit et sur la base de quels critères est-il engagé pour s’en remettre aux décisions qui risquent de faire obstruction aux nôtres ?
Non pas que la décision soit bonne ou mauvaise, en réalité, mais ne pas pouvoir en lire le déroulement pour avoir au moins le sentiment d’en être, voilà ce qui me semble être aujourd’hui devenu insupportable par l’illusion du pouvoir apparent que me donne la liberté d’expression, alors que, inaudible, puisque peu ou personne ne m’entend. Mais surtout, noyé dans le brouhaha, me rendre compte qu’elle ne peut pas l’influencer ni même me faire comprendre que j’ai été entendu.
La frustration de devoir s’exécuter sans alternative
Dieu merci, avec la dextérité acquise au jeu du pas-vu pas-pris, j’arrive à me déjouer des obstructions et, au prix de quelques incivilités presque tolérables parce que commises en complicité d’impunité, de me tracer une ligne de conduite pouvant empiéter quand même les limites du terrain du respect, pour diluer ma frustration de devoir exécuter les devoirs décrétés.
Ce n’est pas tant de devoir respecter les règles du jeu qui est frustrant, ce sont les décisions de l’arbitre mettant en évidence mes infractions qui sont agaçantes et, surtout, démasqué, de ne pas pouvoir les compenser, les adapter, les discuter ou mieux les cacher, et continuer à en faire à ma guise, quand même.
Voilà que l’étau se resserre et que l’espace s’encombre d’obstacles inconfortables contraignant nos aises alors que l’horizon se masque, lui, de sentiers incertains contraignant nos insouciances. Être tenus de se reprendre en main nous surprend à ne plus savoir par quel bout nous prendre, tant il a été doux de ne plus avoir eu qu’à réclamer son dû.
L’équilibre sur le vélo d’Einstein est le résultat du mouvement, ce balan entre trop et pas assez avec lequel nous avons pu pédaler allègrement, même dans la choucroute, mais avec ce sentiment d’illimité sous hypnose d’insouciance justement. Le filtre brutalement dilué et pas assez de Liberté glisse vers le sentiment de dictature, quand trop de liberté dérape dans celui d’impunité, mais, lui, avec la frustration de l’indulgence. Est-ce que c’est ce qui donne à décider cette connotation d’atteinte à la Liberté pour justifier de s’en défier ?
Choisir, pourtant, c’est décider, donc renoncer. Il serait temps de s’en rendre compte, mieux encore, de l’accepter.
Le disciple
– Mais que cherche-ton dans la Liberté, Maître ?
– L’illusion de l’interdépendance sans autorités ni contraintes, Disciple !
– Ce qui signifie que la liberté est donc un problème de choix de priorités, Maître ?
– Oui, mais quand tu as choisi, tu n’es plus libre de ne pas renoncer, Disciple !
Gérard Leidinger
auteur du livre la Déconomocratie