Billets d'Humeur
Les brèves (pas tant que ça !) de la mouette rieuse
Décivilisation : mais avec laquelle être intraitable ?
A l’émotion palpable soulevée par les faits divers tragiques de l’actualité et leur accumulation éclectique, répond une sentence désarmante tant elle ne dit rien qui vaille en espérances, puisqu’elle invite, sans procès, à être « intraitable avec la décivilisation » !
L’éclectisme, justement, la drogue, les coups de couteaux, les agressions, les irrespects, les mépris et autres affligeantes « sandrinôleries », de tous bords et de tous poils, font converger sur la pente des pertes de repères et de sens, nos indignations mais aussi nos indignités collectives. Mettre le tout en perspective et être intraitable, certes, mais avec quelle décivilisation au juste ?
Pour dé civilisation, il faut civilisation, non ?
Faut-il se donner la peine de souligner d’un trait anthropologique celui qui marque la nôtre, si tant est qu’à qualifier comme telle, les derniers cent cinquante ans de l’humanité, est d’une présomption tout à l’image de ce que nous sommes devenus : une espèce indigne et arrogante ! Déjà que l’Européen s’est distingué, dès 1492, en cherchant ailleurs sur la Planète l’espace qui lui manquait pour satisfaire son ambitieuse voracité, mais en plus, il n’a trouvé bien et bon que de détruire ce qu’il y trouvait et de dénaturer ce qui pouvait servir à ses insondables appétits de domination, de possession, d’ignominie, d’esclavagisme, jusqu’à prêcher l’amour des autres, en massacrant à tour de bras les récalcitrants au nom de sa croyance en son Dieu ! Civilisation, dites-vous ?
Certes, il s’est donné la science qui, bien plus efficace que les prières, a propulsé sa prolifération par prolongation de son espérance de vie en éradiquant bien des maladies. Mais la même science, et en même temps, lui a donné la capacité de détruire le monde d’une goutte d’atome de trop, au point de le voir devoir s’assoir en faisant semblant de s’ignorer, froidement ennemis. Comme il n’y suffit pas de gonfler ses appétits, il ponctionne avec la même détermination l’énergie d’une croissance infinie sur l’illusion absurde d’une capacité qu’il déni de ne pas être finie. Consciemment, il détruit le Vivant à tour de bras, au nom de la même ignoble voracité et d’une toute aussi discutable croyance en son Dieu, tout puissant mais si mal nommé au vue de ses résultats qu’il l’a remplacé par un plus pragmatique mais tout aussi cynique : l’Argent. Civilisation, dîtes-vous ?
A chacun sa décivilisation, non ?
A observer le Peuple, cet impalpable conglomérat d’individualités aussi cosmopolites qu’uniques qui se forge des opinions aussi contradictoires qu’irrésolues, force est de comprendre que le civisme et la civilité se dénaturent par les ressacs incessants des faits divers qui les déchaînent au moindre sentiment d’atteinte à la liberté individuelle ou pire, à l’espérance de pouvoir accéder à sa part du gâteau. Il faudra donc être intraitable avec tout ce qui défait cette insaisissable abstraction de liberté collective sensée lier. N’est-il pas, Peuple ?
A entendre Charlie, auquel le moindre coup de couteau fait penser, avec ce même relent de prêche pour l’amour d’un dieu en massacrant toujours à tour de bras, la décivilisation est à l’œuvre, mais pas du côté que l’on pensait et pas dans l’esprit dont il y serait besoin pour mieux. Mais, intraitables, à consommer de la drogue pour s’échapper d’une sinistre réalité, intraitables nos sommes!
A entendre Poutine protecteur du peuple russe, se gausser des légitimes opérations spéciales qu’il installe pour lutter contre la dégénérescence envahissante de l’occident et ses hordes de nazis en mal de voracité tenace, il faut y voir l’Avengers, protecteur intraitable, de sa décivilisation en péril ! Mais passons.
A suivre le discours décroissant d’un Thimothée Parrique, intrépide pourfendeur du PIB et du système amoral porté aux nues par la croissance artificielle et vaine qui impacte si dangereusement le climat, nous nous devons d’être intraitables avec tout ce qui met en péril la survie de notre civilisation par gaz à effet de serre au nom de ce dieu cynique Argent. Mais déconstruire le système nocif, est-ce installer un remplaçant prometteur et efficient ?
A moins que les « escronomistes » de Jean Latreille ne sachent, d’un tour de magie dont il nous décrit les secrets, nous convaincre que nous savons croître avec moins d’énergie fossile, toujours sans déchets, et que si nous changeons de système capitaliste libéral qui a rendu, bien qu’inégalitaires souvent, tant de services aux peuples, c’est toute la civilisation qui va s’éteindre à l’image des civilisés Sumériens d’antan. Juste pour dire que c’est déjà arrivé ! Intraitable avec eux aussi est juste !
Aïe, le mot est lâché : inégalités ! A en croire les porte-voix dispersés sous cette même bannière, Christian Marée, Thomas Wagner ou François Ruffin pour ceux que je suis, il suffirait en fait de redistribuer les richesses plus équitablement, c’est-à-dire, donner accès aux plus pauvres, aux largesses où baignent les nantis, pour que le problème du climat se résorbe. Nous pourrions ainsi aller et décroître en paix avec la dette payée par la sobriété dans un jeu de chien qui se mord la queue, n’est-ce pas Hubert ! Mais, allez expliquer au Brésilien, que le mode de vie de l’Américain n’est pas compatible avec la planète et que, comme ce n’est pas bon pour elle, il n’y aura pas droit ! Pour le Tiers-Monde et pour tous ceux qui y aspirent, aussi, et ceci, dans un même intraitable élan égalitaire, au nom de la Planète mère !
Et que dire des GAFAM et de leur machiavélique marche en avant dans le monde virtuel, entraînant avec eux l’inévitable décivilisation de l’Humanité au profit de la puce de silicium. Pour une décivilisation en voilà une ! Mais, comme pour l’Évolution sans projet qui s’est forgée avec les hasards et les nécessités, pas même une esquisse virtuelle à détricoter. Seule la peur de la mort, comme elle avait osé produire Dieu pour nous rassurer, produit le robot pour nous y remplacer ! Intraitables, oui.
Et c’est sans compter sur les coriaces démons de 1492 qui cherchent encore, après avoir fait le tour ravageur d’ici-bas, un ailleurs dans l’univers, cet espace qui leur manque toujours pour satisfaire leur toujours aussi insatiable voracité. Mais aujourd’hui, de surcroît, ils cherchent une solution de rechange à la planète pour avoir cru bon tout y détruire au nom de leur dieu argent et s’en trouver, eux aussi, dénaturés, décivilisés, délocalisés, exorbités ! N’est-il pas, Christophe Musk, Vasco de Bezos et autres Fernand Zuckerberg !
A chacun son futur dans son coin, si je ne m’abuse ?
Enfin, à ne pas entendre les autres, la masse, je m’interroge sur le projet qu’ils élaborent au travers des circonstances qui s’évertuent à leur contraindre. C’était mieux avant, nous dit David Abiker dans sa rubrique où tous ceux qui font les choses comme ils le peuvent avec ce qu’ils ont pu négocier du système et qui comptent un peu, essayent de se contenter à n’être que soi, pas trop mauvaise moitié d’un couple de parents souvent dépassés. Déjà que le projet de civilisation n’a jamais eu vraiment de but, c’est comme si, insidieusement, ils se décivilisaient eux-mêmes par perte de confiance dans le nous !
Alors, par quel heureux hasard la somme des aspirations de chacun à n’être que soi, même sobrement contenté, puisse-t-elle faire le bonheur d’un peuple où tant de nous piétinent le civisme et la civilité pour exister plus et déborder de leur propre personne ?
Croire pouvoir le faire et y faire croire sans projet est sans doute la plus dramatique des décivilisations, Monsieur le Président. Alors j’ai peur que votre message, en soi, ne soit « intraitable » en l’état.
En vrai, j’aurais aimé que vous nous disiez :
– Ce sera mieux pour tous dans l’après respectueux que nous allons nous donner !
Il y aurait eu comme une touche de Renaissance… plus fédératrice.
Sauf votre respect.
Gérard Leidinger
Auteur de Clitoyens, prenons en main notre Vivre Bien