Billets d'Humeur
Les brèves (pas tant que ça !) de la mouette rieuse
Difficile de se contenter à nouveau ?
Ce qu’il advient de ce monde devenu visqueux sur lequel s’abattent à nouveau l’inconfort et l’incertitude dont nos progrès avaient su nous préserver au point de ne plus savoir les accepter, c’est qu’il se révolte de toutes les turpitudes que nous lui avons fait subir à son corps défendant. Oh, ce n’est pas qu’il soit rancunier, le monde, non, simplement, il se rappelle à notre bon souvenir aux temps où nous savions nous satisfaire de ce qu’il était en mesure de nous donner pour exister à ses côtés. En prenant une illusoire assurance en nous, nous avons tout perturbé.
Pouvoir et avidité
Force est quand même d’admettre que la situation dans laquelle se trouve le monde d’aujourd’hui est le résultat hasardeux et indécis d’orientations tronquées par des appétits de pouvoirs et d’avidités incohérents, ayant négligé pour ne pas dire bafoué les plus élémentaires règles des équilibres qui font loi dans la nature. Qu’elle est le fruit de chantages émotifs à la nuisance des uns sur les autres pour étayer une fausse légitimité de lutte des classes ou de justes désillusions de condamnés à en baver révoltés qui réclament leur dû. Qu’elle cherche éperdument à perdurer malgré les inconsistances, à l’appui de crispations enfiévrées par les frustrations impossibles à assouvir des nantis au risque de tout remettre en cause et, faute de rapports de force inqualifiables et improvisés par des arrogances inconscientes et suicidaires, extorquées autant auprès des décideurs poltrons que des quémandeurs indécents.
Si pouvoir et avidité sont les animateurs de cette infernale indécision autant qu’absurde perspective, que faut-il faire pour les contenter ?
Incertitude et inconfort
Malheureusement, et comme s’il n’y suffisait pas, force est quand même d’admettre aussi que la rivière de l’Evolution de l’Humanité nous a emmené jusqu’ici avec toutes les approximations dont on peut faire le procès et toutes les réussites dont on peut faire l’apologie, dans un courant que l’on suit et qui nous emporte, mais qui n’a ni but ni lit tracé. Nous avançons au gré des vents et des marées, des apprentissages et des découvertes, des heurs et des malheurs, des impulsions et des virements de bords, des besoins et des envies, de l’offre et de la demande. Mais, sans objectif ! Sans destination ! Sans trésor caché à découvrir ! Sans carte ! Sans plan ! Sans boussole ! Sans GPS ! Et surtout… sans pilote !
Et jusqu’ici, tout le monde n’en avait rien à faire, absolument, ne cherchant, fondamentalement pour chacun, que d’en tirer le meilleur parti pour être heureux sans se préoccuper du mammouth collectif, trop hétéroclite, trop loin, trop différent, trop décalé, trop compliqué. Donc, chacun pour soi. Individuellement. Recroquevillé. Chacun sur son poil, peu importe où allait le mammouth !
Et d’un seul coup, le monde est devenu un petit jardin encore fleuri dans l’univers vu du haut de la station spatiale, que la mondialisation nous concerne, même nous, par les différences sociales aux conséquences sordides sur l’emploi, qu’Internet nous met en direct avec la Mongolie et Ushuaïa en même temps pour nous montrer combien c’est près, que le virus né en Chine s’est répandu partout tout de suite avec notre complicité assoiffée de transhumances passagères si promptes. D’un coup, la vue du mammouth estompe celle du poil ! D’un coup encore, l’inconfort de l’interdépendance envahissante qui nous entrelace de plus en plus intimement entre terriens, comme l’incertitude de ce qu’il advient de ce mammouth collectif sans but dont nous prenons conscience maintenant que Dieu est obsolète et que nos besoins sont globalement satisfaits, nous plongent dans une exigence aussi cruelle qu’inévitable, devoir vivre à nouveau avec eux, comme au temps de la cueillette et de la chasse !
Si incertitude et inconfort sont les perturbateurs « endocriniens » de cette infernale promiscuité « mondiale » autant qu’imprévisible perspective, que faut-il faire pour s’en contenter ?
Ephémère et futile
Saurons-nous admette dans cette quête individuelle, insouciante et indépendante d’une vision d’ensemble, que l’optimum du collectif ne soit pas la somme de l’optimum de chacun. C’est une tarte à la crème que tous les barreurs de l’aviron connaissent et sur laquelle ils travaillent avec acharnement pour s’aligner en cadence et en intensité. Leur motivation n’est pas commandée par donner de son maximum mais donner sa contribution « alignée » sur celle convenue du collectif. Sinon les rames s’entrechoquent et le bateau perd peut-être seulement à cause d’une seule de ses rames !
Or chacun sur son poil s’est dessiné son bonheur qu’il recherche, avec en plus, un dessin grossier et suggestif à tel point que si je vous demande de me dessiner la belle maison dans laquelle vous souhaitez le vivre, vous avez du mal à la décrire : Ben, grande et lumineuse, me répondrez-vous. Et avec ça, je construis quoi ? Dites-moi, en vrai, ce que veut dire être heureux pour vous ? En concret, pas des vœux … comme être riche, par exemple, car ça commence à combien pour vous, et pour en faire quoi ?
Il me semble que le plus inconsistant est de ne plus pouvoir admettre, voire savoir pour les plus atteints, que nous traçons ce chemin incertain en choisissant en permanence, entre satisfaire d’une part, nos besoins, ceux qui nous permettent de survivre (manger, boire dormir, se protéger…) et d’autre part, nos envies, celles qui nous permettent de nous enthousiasmer (aimer, s’associer, se réaliser…). Ce n’est pas tant le fait de choisir qui soit préjudiciable au parcours, ce sont les critères avec lesquels c’est fait qui génèrent les dégâts d’aujourd’hui puisque le nécessaire besoin est acquis presque par tous. Mais pour ce qui est des envies : suivre une image artificielle et y calquer sa détermination au risque d’asservir sa personnalité ou satisfaire l’impulsion d’une sollicitation éphémère qui n’a d’intérêt que de générer une obsolescence provoquée par la suivante aussi insoupçonnée que futile, comme déjà la précédente. Et s’en trouver frustré de ne pas pouvoir suivre le rythme.
Si éphémère et futile sont les critères de choix de ses envies dans cette infernale indécision autant qu’absurde perspective, que faut-il faire pour s’en contenter ?
Satisfaire ou contenter
Avec de telles problématiques à intégrer, devant l’instabilité de ce qu’il en est en réalité vécu et non pas espéré, avec la volatilité de ce que l’on en fait sur un temps si court d’intérêt et d’attention, au-devant de l’imprévisibilité de ce qui peut en advenir réellement en fonction des vents, il procéderait d’une sage précaution que de réapprendre à se contenter, si se contenter ne signifie pas se résigner au point de se priver, si se satisfaire accepte de se borner à ce qui est agréable au lieu d’éphémère et consistant au lieu de futile. Ainsi, on n’opposerait pas inutilement se contenter à se satisfaire avec ce qu’il y est perçu d’austérité repoussante dans le premier.
On pourrait faire sienne la sentence de Sénèque quand il dit : « quand tu auras désappris à espérer, je t’apprendrai à vouloir » pour faire face au défi. Au travers de ces lignes, on entend lourdement ce bruit de fond de la précarité de la pensée doctrinale d’aujourd’hui et des méthodes empiriques qui l’argumentent. Mais si vous tendez bien l’oreille, le martèlement plus sourd et cadencé que vous y distinguez, c’est le besoin de capacité d’adaptation requise pour réintégrer l’inconfort et l’incertitude dans nos choix. Je conçois qu’il soit difficile d’accepter la désorientation qui en résulte et le vertige pour demain qui s’annonce. Mais savoir s’en contenter sera la clé de l’adaptation salvatrice parce qu’il n’y aura toujours pas de pilote ni de cap collectif pour nous emmener sauf, comme constaté depuis les origines, l’imprévisible tyran Hasard.
Et ça ira !
Le disciple
– Quelle nuance entre se contenter et se satisfaire, Maître ?
– Se contenter c’est satisfaire agréablement ses nécessités, Disciple !
– Mais il me semblait que le plaisir était gaspillage, Maître ?
– Oui, si le plaisir ne sert que l’image espérée que tu veux que les autres aient de toi, Disciple !
Gérard Leidinger