Billets d'Humeur

Les brèves (pas tant que ça !) de la mouette rieuse

Et si les Amish nous donnaient quand même une leçon ?

Quand d’autres en sont encore à chercher à comprendre ce qu’il pourrait bien advenir d’eux puisque ça a toujours marché comme ça, certains s’attachent à assurer la répétabilité de leur offre client parce qu’ils se sont bien aperçus, eux, que c’est la seule façon de ne pas le décevoir pour espérer ainsi le voir revenir malgré sa volatilité ! S’il est presque trop tard de s’inquiéter pour les premiers, il faut alerter les seconds qu’il va falloir marcher plus vite encore pour rester à flots d’un monde que d’aucun qualifie de liquide (Z. BAUMAN) tant il s’échine à rendre obsolète rapidement ce qu’il vient de produire sur le simple motif absurde de pousser à la consommation. Mais cette voie-là, tout entière, est sans issue, c’est dire !

Si les dirigeants des entreprises qui cherchent encore à comprendre s’appuient sur un management participatif besogneux, les seconds se sont dotés du management bienveillant, à grand renforts de moules à leaders, de slogans motivateurs et d’exemples de réussites extraordinaires aux sourires blancs ultra white. De quoi stimuler les plus assoiffés, de quoi effrayer les plus timorés, de quoi anesthésier les plus routiniers, de quoi insurger les plus aboutis. Mais, désolé de pouvoir l’affirmer, il va falloir passer à tout autre chose, car on est au bout de la voie que l’on sait aujourd’hui, sans issue, voie que l’on a prise avec conviction dans l’euphorie de l’après-guerre et que l’on n’a pas infléchie en 1974 quand l’offre a dépassé la demande, c’est-à-dire quand la donne initiale a changé, tout ça parce que l’on n’a pas osé « revenir en arrière » à ce moment-là.

Accepter que la voie soit sans issue
Certes, nous n’avons de leçon à donner à personne et loin de nous cette idée moralisatrice mal à propos qui ne peut avoir la moindre place dans ce monde changeant et ce, par définition, puisque la morale dont il est besoin n’est pas encore disponible. Ce que l’on perçoit, c’est que celle qui fait référence aujourd’hui ne sait plus vraiment y répondre. Va-t-on une fois encore ne pas oser « revenir en arrière » ? Portés par le courant de la demande qui cherchait une offre, nous nous sommes empêtrés à y répondre sans compter, convaincus de son inépuisabilité comme de son éternité si familière pour après, grâce à la religion depuis des millénaires. Et voilà la mécanique si fidèle et si rassurante qui se grippe et oblige tout un chacun de trouver le palliatif pour faire durer le système à défaut d’accepter de le remettre en question. On innove donc pour limiter la durée d’utilité de ce qui est offert, simplement par l’obsolescence de son style ou avec la subtilité d’une nouvelle fonction, pertinente ou pas d’ailleurs, pourvu qu’elle puisse générer une motivation d’achat. On ne produit plus pour satisfaire un besoin, on produit pour satisfaire la consommation elle-même et tenter de pérenniser ainsi, tant bien que mal, un système de l’offre et de la demande à bout de souffle malgré tout, pour lequel il n’existe pas encore de système de rechange crédible ou abouti. Surtout si on ne regarde demain qu’avec les yeux d’aujourd’hui et que l’on n’ose pas remettre en cause le système lui-même : « sans issue ».

Comment vouloir prétendre qu’avec un tel changement de contexte et une telle remise en cause incessante des jeux et des terrains, le mode de management ne subisse quelques exigences nouvelles encore, voire des ruptures plus profondes pour lesquelles les vernis habituels avec lesquels on rafraichissait les recettes et les tours de mains successifs ne suffisent plus ? C’est vrai que le changement n’est pas une démarche spontanée et volontariste universellement partagée, pour le dire avec un peu de dérision. Bien au contraire, sur la base de nos apprentissages ancestraux, nous cherchons plutôt la sécurité du cycle et le confort de la routine, et c’est bien dans ces logiques que le management s’est installé jusqu’ici, des cycles périodiques et des routines immuables qui sécurisent dans un confort anesthésiant la marche en avant mécanique et prévisible vers demain sur un terrain balisé et ferme. Certes avec cette idée du mieux omniprésente, mais exclusivement orientée « profit » ce qui nous prive d’un champ des possibles pour qu’elle soit capable de remettre en cause les vernis alors que, sans doute ou au moins, ce champ doive faire partie du problème et non un postulat pour le poser : profit, est-ce la seule future voie ?

Mais avec le monde tel qu’il se transforme, le terrain bien stable perd ses balises et devient progressivement visqueux. La marche mécanique et prévisible se transforme en un piétinement fébrile qui s’accélère pour compenser le pied qui se dérobe à chaque pas sur la route devenue molle et sans tracé vers un demain incertain : rien qui vaille pour la sécurité du cycle et le confort de la routine, tout pour l’incertitude et l’inconfort !
Qu’en est-il alors pour le management qui mène ?

Revenir en arrière
En réalité, rien qui vaille ou tout du moins rien pour rassurer, tant la simple façon de poser le problème nous met déjà hors-jeu. Quand on s’est trompé de route, quand la solution choisie s’avère incorrecte, que fait-on ? On s’arrête, on repose le problème, on reprend ce qui ne fonctionne pas, on fait demi-tour le cas échéant, on revient en arrière pour reprendre le sujet, avec ce que l’on vient d’apprendre comme le disaient si bien Edison et Mandela. Mais on ne s’accroche pas à une illusion au risque de tout hypothéquer. On parlerait de bon sens que personne ne le contesterait, mais personne n’ose le faire, personne ne le fait : on sait que l’on va tout droit dans le mur en voulant faire rentrer deux terres et demie dans une seule pour assurer le niveau de vie américain à la planète, on tue la nature en ponctionnant avec mépris tout ce qui peut nous servir, on sait que c’est à capacité finie, mais on se comporte sans honte et surtout avec cynisme en incapacité infinie à se reprendre.
Et tombe cette tirade incompréhensible à mon sens au regard de mon propos, je cite : « Je ne crois pas au modèle amish. Et je ne crois pas que le modèle amish permette de régler les défis de l’écologie contemporaine. » Je n’ai aucun commentaire à faire sur la communauté en soi, ce sont leurs convictions et elles sont sans doute fondées et honorables puisque c’est leur choix et que c’est un choix « global ». Je ne cite cet extrait que pour illustrer mon propos et « justifier » mon inquiétude : poser le « vrai » problème qui justement, me semble-t-il, est celui de ce choix qu’eux font, même si l’on peut discuter le leur mais, justement, sur quelles bases ? Mais, nous, choisissons-nous le monde du « profit » et de la ponction comme notre futur à nous, comme bases de notre choix ? Si l’on oppose le mode de vie Amish au mode de vie contemporain et que l’on veuille lui faire répondre à lui aux problèmes d’aujourd’hui avec nos besoins contemporains comme a priori, il n’y a aucune chance qu’il puisse le faire et on serait bien fou à vouloir y trouver des recettes. Donc, excusez-moi Monsieur le Président, si votre image sait nous interpeler, elle nous emmène et les dirigeants d’entreprise que vous influencez avec vous, sur une fausse route avec un a priori nous privant de tout un aspect du problème global pour lequel vous avez été élu : poser le problème d’un choix « global » de projet sociétal.

Ce n’est pas y opposer la voiture au cheval ou la lampe à huile à l’électricité, le boulier à l’ordinateur, dont il est question, moins encore à vouloir répondre au besoin du second par le premier, mais simplement oser se poser la question « globale »: et si je pouvais avoir le choix entre plusieurs solutions et en fonction des circonstances, ou avoir une solution par circonstance, le vélo pour aller chercher mon pain, la voiture pour aller en famille prendre le train pour rendre visite à ma fille qui habite loin et se poser la question de la nécessité pour elle d’habiter loin et avoir pour chaque solution le souci du respect de la nature en « mesurant » son impact sur l’environnement et avoir pour chaque impact la question fondamentale de son utilité à notre survie et à celle de nos enfants au lieu de ne chercher qu’à satisfaire l’image éphémère qu’elle nous confère. Alors, Emmanuel, -pardon pour cette familiarité-, nous aurions intégré les Amish, non pas comme solution au problème, mais comme un outil supplémentaire et astucieux pour prendre le recul si nécessaire quand on s’est trompé de route. Mais, c’est sans doute ce que vous aviez voulu dire en parlant de la 5G ! C’est « utile » pour laver plus blanc que blanc, plus vite que vite, plus « plus » que plus, mais pour qui ? Les GAFAS, encore ? Mais pour moi ? En réalité, ma survie est-elle en question sans la 5G ou est-elle une façon d’éliminer le besoin de ma fille d’habiter loin pour me permettre d’utiliser mon cheval pour aller la voir ?

On l’aura compris, il est urgent de chercher quelques pistes pour y répondre et essayer de limiter les dégâts sociaux inévitables tant le changement est brutal et profond. En effet devant l’instabilité de ce qui est, la volatilité de ce que l’on en fait et l’imprévisibilité de ce qui peut en advenir, le management doit se pencher sur la reconfiguration de nos gênes, rien que ça : l’insécurité et l’inconfort comme nouveaux paradigmes en réponse à ce monde devenu liquide. Est-ce d’ailleurs nouveau ou simplement un retour aux origines quand survivre était une quête permanente entre la sécurité contre les prédateurs et l’ennemi et la recherche du confort contre la faim et le froid ? Justement, la recherche de leur éradication a fait l’essentiel des pages de l’Evolution. Alors à la fin d’un système puisque nous avons abouti pour la plupart, et derrière le panneau « ici, vous êtes arrivés ! » que les faits affichent, nous voilà quelque peu désemparés, coupés dans notre élan porteur, si bien qu’il nous faut nous donner un nouveau défi, un nouveau cap, donc de nouvelles dispositions et nouveaux critères de choix, pour tracer une nouvelle route pour poursuivre l’Evolution, comme à chaque fois, mais cette fois, avec une intelligence collective qui donne à presque tout le monde l’illusion du pouvoir de choisir. La communauté Amish sait le faire, donc c’est possible ! Mais à l’échelle de la planète ?
C’est donc sur cette contrariété structurelle, maintenant, que repose, semble-t-il, la clé du problème : oser s’arrêter, revenir en arrière et choisir. Il va falloir redynamiser notre capacité d’adaptation, dénominateur commun à tous les mécanismes qui ont été conduits tout au long de l’Odyssée dans laquelle toute rigidité, tout a priori et toute résistance à la marche en avant utile ont été laminées sans ménagement, systématiquement.

Retournez-vous et faites un « retour en arrière » si vous avez un doute !

le disciple
– N’y a-t-il pas de risques que nous soyons un jour trop nombreux sur Terre, Maître ?
– Sans prédateur et avec le génie à savoir prolonger la vie, la réponse est évidente, Disciple !
– mais alors, comment agir pour nous éviter le trop, Maître ?
– Ne t’inquiète pas, il y aura bien un illuminé assez convainquant pour faire allumer les mèches par des irréfléchis, Disciple !

Gérard Leidinger

Posté le 20 octobre 2020
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