Billets d'Humeur
Les brèves (pas tant que ça !) de la mouette rieuse
Fragments Osés N°3 : Technologie Recyclable
En recevant une pomme sur la tête, Newton comprit la gravité. Comme elle, la Nature a installé quelques méthodes économes et élémentaires pour produire l’énergie dont la Vie a besoin pour marcher. Elle les compléta avec quelques règles pour préserver les interdépendances qui ont en résulté et assuré la vivacité de l’équilibre en mouvement perpétuel insufflé par la cosmogonie : parmi elles, ce que Lavoisier résuma en une formule mythique : rien ne se crée, rien ne se perd, tout se transforme. Dans nos égarements écologiques l’une des prétentions conséquente et préjudiciable, est de pas avoir cru bon intégrer cette exigence que la Nature s’était donnée, à notre ambition de la compléter par nos productions. Et si on s’imposait de corriger le tir, conscients de notre erreur ?
Au nom de l’immoralité derrière la morale apparente
Quel que soit le processus installé, à quel qu’endroit où la Vie s’est déployée, quelle que soit la forme qu’elle y ait prise, nulle part, il ne produit un déchet qui ne soit réutilisé dans le cycle perpétuel de la vie : naissance, développement, maturité, reproduction, mort et désintégration. L’homme, lui-même, s’en voit façonné, puisque de poussière, il redevient poussière.
Trop tard pour comprendre le pourquoi, sans doute trop préoccupé par sa soif de mieux, Sapiens en cherchant à s’affranchir de l’incertitude et de l’inconfort a donc créé un nombre incalculable d’objets, plus ou moins utiles et respectueux du Milieu dans lequel il vit, mais négligeant ce qu’il en advient dans le cycle originel vertueux. Les anciennes civilisations avaient senti que le monde n’était pas assujetti aux humains et qu’il avait une existence propre, même si l’interdépendance pouvait infléchir leur dépendance à lui. Mais la nôtre, au nom de la Modernité, s’en est affranchi avec mépris, ignorant délibérément les impacts nocifs de ses déchets sur la pérennité des équilibres de la Nature, créant une rupture fatale. Pensez-donc: que va-t-il advenir des milliards d’objets connectés que l’on mous promet après leur utilisation ?
Et justement, c’est toute l’ambiguïté de cette science qui avec la connaissance plus ou moins récente mais parfaitement démontrée, perdure dans son mépris et dans sa rupture avec l’exigence naturelle de préservation : elle inonde le monde d’un immonde amoncellement écocide. Le mal est déjà fait. Le crime est de s’obstiner, à moins de dissoudre quelques fragments durs, sur lesquels les apparents progrès, cherchent à préserver leur existence immorale pour de mauvaises raisons :
1. L’immoralité de la ponction des matières : elles résultent du même processus de transformation vertueux puisqu’elles-mêmes sont le fruit des bouleversements successifs qui ont façonné le monde : éruptions volcaniques, climats, impacts cosmiques, chimie et autres facteurs d’associations et de hasards. Elles sont, en l’état d’aujourd’hui, une phase de leur propre processus. En ponctionnant certaines d’entre elles, nous interrompons leur cycle sans connaître vraiment l’impact sur l’équilibre global auquel elles procèdent. De toutes les façons, la ponction, puisque non renouvelable, détruit irrémédiablement l’une des branches de l’interdépendance invisible et méconnue qui s’était installée. De quel « droit », légal, biblique, divin, naturel, agissons-nous ? Quelle morale trouver à la profanation de la matrice originelle, elle-même ?
2. L’autre injustifiable irrévérence de l’immoralité de la ponction est, au-delà des impacts directs sur l’environnement, la sclérose technique de la science qui s’arcboute sur ses acquis au nom de cette assujettissement immoral au Marché. Puisqu’avec les acquis techniques et les fonctionnalités obtenues, on s’est doté de certitudes et de conforts notables, pourquoi les remettre en question ? D’ailleurs, se préoccuper de leur recyclage ou d’une reconsidération écologique plus drastique conduirait à un surcoût inacceptable. Ah, la dette ! En s’engouffrant dans la technique des big data où s’accumulent les 0 et les 1 de l’intelligence artificielle, il n’est plus aucune chance de se sortir de cette erreur de trajectoire, du fait même de son objet mercantile exclusif. Moral, ça aussi ?
3. Ainsi donc, enfermé dans la ponction confortable et dans la technologie profitable, l’immoralité du procès fait à l’écologie, d’obstruction à la continuité de l’absurdité, procède en vérité de la sentence de Goethe : seul l’insatisfaisant est fécond. Comme il n’est exprimé que par rapport à l’insuffisant de profits, l’appétit de connaissance et de découvertes se ramollit, annihilant l’enthousiasme et la dynamique de la fécondité scientifique. Il est donc incompréhensible, en dehors des arguments immoraux puisque étayés par des contre-vérités, de ne pas reprendre en considération les fondements mêmes des réponses apportées par erreur puis par déni, aux aspirations humaines. Ce n’est pas d’y avoir répondu le problème, c’est de l’avoir fait en se dissociant de l’exigence initiale de la Nature. Mépris encore admissible ?
Au nom de l’insoutenabilité derrière la loi apparente de la nécessité
A l’image de la vision déterministe du monde au travers du prisme du profit, il est insoutenable de poursuivre la ponction puisque les matières prélevées sont strictement disponibles en quantités finies. Force est donc de penser leur remplacement sous « peine » d’incapacité de poursuivre l’absurdité.
1. Au regard des matières : nos processus de transformation rompent la chaîne du recyclage en les figeant, la plupart, dans un état de conservation chimiquement hermétique aux facteurs de désintégration qui assurent leur réemploi naturel. L’image des particules fines de plastique dans le système digestif des poissons en est une démonstration navrante mais explicite. Il en découle un axe de connaissance à creuser pour enrichir notre compréhension du Monde. En redonnant aux matières que nous transformons, les caractéristiques compatibles à leur réintégration dans les cycles naturels, nous nous recollons à la Nature. Pour peu que nous concevions les réponses avec des assemblages qui intègrent un séquencement biodégradable progressif, nous réorganisons le respect de la Nature et son entretien sans lui porter préjudice. Pour les matières minérales démantelées (béton, tuiles, enrobés, …), il « suffit » de les réinjecter dans le magma terrestre pour les « reformater » !
2. Au regard du besoin : dans mes commentaires sur l’inévitable nécessité de reconsidérer notre système économique basé sur la consommation (voir fragments osés N°1 : annuler la dette, ou reportez-vous aux livres sur la décroissance), j’en appelle à la reconsidération des besoins que nous cherchons à satisfaire, mais du point de vue de leur détournement. Ils ne sont plus produits pour les satisfaire mais pour qu’ils soient consommés. Il me semble donc qu’il faille leur assigner quelques exigences pour réorienter écologiquement leur création et mise sur le Marché : l’assujettir à des conditions de recyclabilité, de prolongation de leur durabilité, d’innovation dans la réponse explicite au besoin ou à l’économie réalisée dans la production en énergie ou matières, etc.
3. Au regard du niveau de vie : l’annulation de la dette et le rééquilibrage de l’équité sociale, remaillent utilement le système économique du filet de la mondialisation et influencent directement le fragment osé de la technologie recyclable. Comme pour l’équité sociale, le besoin est mondial mais pas universel. Il est localement assujetti au niveau de vie et à la culture qui lui est associée. Les deux actions de réduction du trop et d’augmentation du pas assez, requièrent des réponses adaptées. Bénédiction pour la libération de la conception des griffes malsaines du Marché ! La modernité a entraîné quelques erreurs, dont cette croyance au déterminisme scientifique pour justifier de notre entendement logique avant d’être kidnappé par le Marché. C’est l’obéissance et la dévotion à ses lois qui détourne le monde d’une vision alternative. Par chance, oserais-je dire, l’expérience de vie « heureuse » se désagrège sous les coups de boutoir des désillusions, des frustrations et des déséquilibres maintenant lisibles. En ce sens, les impacts climatiques sont salvateurs !
Au titre de la durabilité derrière l’immoralité apparente
Quelle chance en effet, donnée à la science de se repenser : rappeler Descartes et même Pythagore et Aristote, pour leur dire que leurs objectivation de la réalité par les mathématiques souffre de l’exclusivité épistémique qui lui a été cédée au détriment de son interdépendance avec les autres sciences mythiques, au service de la Vie, pas de l’Argent, donc interdisciplinaires : philosophie, arts et spiritualité, ingrédients indissociables de la prospérité durable.
En négligeant la dimension spirituelle de sa pensée, Sapiens s’est privé d’une jambe pour avancer. Il saute à cloche-pied depuis avoir détourné sa croyance en une dimension mystique, explicable par le discrédit causé avec des résultats décevants, pour se tourner vers l’Argent. Plus rapidement que par le biais des prières, puisque d’un accès plus immédiat, la désillusion et la frustration de la croyance générées par les inégalités et les injustices visibles jusqu’en dehors des temples de la consommation, créent un vide spirituel qui entraîne inexorablement l’effondrement de la communauté : la croyance en une âme collective est le propre même de l’assemblage social. Sans, il se délite. Regardez !
Non pas qu’il faille recourir à Dieu, nous avons assez fait de dégâts en son nom et depuis que le doute s’est installé sur son existence, Sapiens a su se prendre en main avec plus de résultats. Mais la spiritualité procède du sens qui donne une façon possible et juste d’être du Monde.
Il est donc temps de s’en redonner un et que cette spiritualité reprenne sa place pour remarcher naturellement.
Gérard Leidinger
Auteur de Clitoyens, prenons en main notre Vivre Bien