Billets d'Humeur
Les brèves (pas tant que ça !) de la mouette rieuse
JO Paris, 2024 : le courage de la transition
D’aucun leur prête la prévention d’une cabale de l’Opinion en infamie d’écologie à venir, trois mois avant leur ouverture, certes, moins le sordide de la coupe du monde de football au Qatar. Je préfère leur prêter le recours à la popularité et à la mondialisation de l’évènement pour faire accepter et tester la sobriété grandeur nature dans laquelle, les organisateurs des Jeux Olympiques à Paris ont prévu de les dérouler, à des fins pédagogiques et expérimentales. A ce que j’en ai compris, l’idée maîtresse est de démontrer que la sobriété ce n’est pas la fin du Monde mais la fin d’une connerie qui ne nous a pas rendus plus heureux et qu’en ne changeant que la nature du confort, on gagne en qualité de vie. C’est leur contribution, à eux, à la transition écologique.
les transports comme facteur dominant
En effet, en s’appuyant sur le plan de transformation de The Shift Project, ils ont utilisé tous les leviers à leur disposition pour immerger les Jeux dans un monde de sobriété tel qu’il pourrait se dessiner pour corriger nos dérives et répondre aux exigences de préservation des conditions de Vie sur Terre. Il y a les aspects des méfaits de l’énergie fossile et ses impacts sur le réchauffement climatique, mais également les indécentes ponctions et pollutions dues à notre incapacité de concevoir sans le souci du recyclage et la consternante gabegie du toujours plus pour essayer de combler le vide sans fond du sens ou entretenir mal sainement un système obsolète en détournant son objet vers le profit sec.
La première de ces dispositions est d’interdire la circulation en véhicule à propulsion thermique sur toute la région parisienne et durant la période d’un mois avant et un mois après les jeux et leur durée. Cette disposition concerne également les aéroports français, fermés en même temps, pour privilégier tous les transports décarbonés. Devant le tollé général que cette disposition a déclenché, les Organisateurs ont eu recours à quelques exemples de transition, disponibles et efficaces, pour compenser et susciter le possible :
– Paris est alimenté en marchandises, de nuit, par des métros, des tramways, des bus, équipés en wagons convertis et les accès locaux réalisés en chariots électriques,
– Les taxis non électriques sont remplacés par des pousses-pousses tractés à vélo ou roues électriques, pour des jeux dans un espace sans voiture thermique. Le vélo est en libre-service. L’hydrogène est admis.
– De même les délégations sportives de tous les pays participants et leurs supporters sont « ramassés » en bateaux de croisières (type MSC), par continents entiers, de façon à ne pas avoir besoin de recourir aux nombreux transports aériens initialement prévus. Certes, la concession de leur propulsion thermique est justifiée par l’économie globale en CO2 obtenue en attendant une solution éolienne ou hydrogène plus adaptée, mais pas prête.
– On l’aura compris, seuls les secours et la force publique pourront circuler en véhicules thermiques pour autant que de besoin à compléter.
– Les épreuves sont organisées de jour pour ne pas avoir besoin de l’éclairage et les soirées d’été plus longues, mises à profit pour les agapes aux lampions solaires. Les douches des sportifs sont à l’eau chauffée au solaire. Et malgré ses aléas d’ensoleillement, par solidarité pendant la période visée, la France entière s’y soumet aussi.
la gabegie comme exemple de sobriété
Comme ils y étaient, les Organisateurs se sont également attaqués à la gabegie : ramener les volumes au besoin, ramener le choix à l’utilité, ramener le plaisir au contentement. Globalement, l’initiative libérale débridée capitalistique, repose sur la mise à disposition de l’offre et au battage publicitaire pour l’achat. Il se sont dit et donné les moyens de consolider la demande sur la base des besoins construits et de réguler la mise à disposition pour réintégrer la notion de contentement dans les comportements. Ce contentement repose sur trois notions : la valeur d’usage, au sens de la durée de vie d’un vêtement par exemple, la lassitude à laquelle on s’expose à ne pas varier de modèle en proposant une fréquence consensuelle et hygiénique ou encore la différenciation/personnalisation que la diversité procure à des fins de séduction ou d’identité en privilégiant l’accessoire renouvelable pour y répondre sur des bases répétées. En proposant de changer les codes durant cette période, le pari est fait de s’apercevoir qu’il n’y a pas de conséquences frustrantes à la qualité de vie d’abord, à la qualité relationnelle ensuite, ni à celle de l’image ou de l’affirmation de soi, sincère et valorisante, en se contentant.
Cette disposition est déployée sur tous les produits, aliments et matériels, nécessaires à la vie quotidienne, la futilité est, elle, escamotée. Et dans l’esprit de l’exigence de sobriété liée aux transports : seuls les produits made in France ou acheminés en mode décarboné sont autorisés à la vente durant la période. Il faut noter que les organisateurs eux-mêmes se sont trouvés un peu gênés aux entournures puisqu’ils ont dû changer le processus de mise à disposition de la mascotte des Jeux initialement importée de Chine ! Là elle vient du Jura, en train.
votre participation comme marqueur d’adhésion
Je vous renvoie au dépliant, sur papier recyclé, et aux très nombreuses communications prononcées sur tout le territoire pour argumenter, expliquer et séduire la population sur le bienfondé des dispositions installées à cette occasion. L’enthousiasme et la conviction avec laquelle les bénévoles qui s’y attachent s’investissent dans leur croisade, laisse à penser que si les réactions ne déchaînent pas une adhésion spontanée débordante et enjouée, la capacité de se projeter et la possibilité de tester, grandeur nature, les désagréments ébauchés dans tout changement, déclenche une tolérance sereine et prometteuse, pour voir. Ce en quoi les Organisateurs ont vu juste et ont probablement puisé le courage d’oser.
Quelle que soit la leçon tirée, et même s’ils doivent remballer piteusement, après coup, leur expérience du fait d’un rejet populaire catégorique, ils auront marqué d’une pierre de la fin ce qu’il aurait fallu que l’on fasse pour ne pas précipiter notre descente aux Enfers de la Bêtise. Personne donc ne pourra dire je ne savais pas ; personne ne pourra se disculper de sa part de lâcheté ; et personne ne pourra se plaindre de son inhumanité.
Eux ont eu le courage de le penser et de le faire. Le seul hic, c’est que c’est moi qui l’ai rêvé !
Gérard Leidinger
Auteur de
Clitoyens, prenons en main notre Vivre Bien