Billets d'Humeur

Les brèves (pas tant que ça !) de la mouette rieuse

La Déconomocratie : les Préliminaires aux Soins

Exprimer l’insatisfaction ou formaliser des dysfonctionnements d’une entreprise ou de la démocratie n’est pas acte de diagnostic, mais simplement celui de montrer le bouchon de la pêche à la ligne à la surface de l’eau. C’est-à-dire constater l’effet du problème et exprimer selon les points de vue, comment se traduit apparemment le dérèglement plus profond, la cause racine qui en est à l’origine, l’hameçon. S’impose donc immédiatement l’interrogation sur la pertinence de l’insatisfaction : est-ce un jugement de valeur ou un écart mesurable et mesuré ? Il n’y a aucune chance de pouvoir résoudre un jugement de valeur sauf à chercher à identifier les critères qui le génère et de s’y adapter ou de les changer.

Quand on s’exprime sur la déconomocratie, force est d’accepter qu’il s’agît-là, la plupart du temps justement, plus de jugements de valeurs et de ressentis que d‘écarts objectifs d’avec des références partagées faisant office de repères acceptés et reconnus pour pouvoir en trouver les causes. Alors, l’exercice de prescription médicale pour ne pas rester sur une simple formulation de ressentis passe par le besoin de rédiger l’ordonnance pour se soigner de cette maladie dénoncée dans mon article précédent. Mais pour la rédiger, il y a peut-être quelques dispositions à prendre pour pouvoir traiter les causes profondes de constats objectifs, d’écarts avec des références formalisées sur lesquelles s’appuient les insatisfactions pour être mesurables et pour en obtenir le consensus. C’est ce qu’il me plaît de vous proposer dans ce second article sur le sujet : les préliminaires aux soins. Suivrons, le diagnostic des maux dans un troisième, puis l’ordonnance pour guérir dans le quatrième.

D’abord vient donc le temps du ciment

Si Liberté s’arrête là où commence celle de l’autre, si Egalité se traduit par des droits mais aussi des devoirs, et si fraternité se concentre sur ne fait pas aux autres ce que tu ne veux pas que l’on te fasse, nous pouvons considérer que nous avons exprimé ce qui fait le ciment de notre Nation, cette collectivité à laquelle nous voulons adhérer et en accepter les règles de vie pour en permettre et sécuriser la nôtre, le ciment des valeurs.
Mais à tout bien considéré, on peut admettre que chacun des individus de cette collectivité, a de ces valeurs une compréhension personnelle difficilement partageable puisque formulées par des qualificatifs eux-mêmes plus proches du jugement de valeur que d’un repère mesurable. Trop ou pas assez ne servent pas à partager, parce que le seuil de basculement de l’un dans l’autre n’est pas défini donc propre à chacun sur le seul justificatif que c’est le sien. Rajoutez de la confusion, surtout si l’objet de ce jugement est lui-même une généralité indéfinie.
Ainsi, il m’apparait comme incontournable que d’affiner ces valeurs et de les rendre explicites de façon qu’elles deviennent les critères avec lesquels les situations et les projets de la Collectivité sont évalués par chacun de ses membres, objectivement et indépendamment des jugements de valeur légitimes, certes, mais stériles. Bien sûr, les notions que je vous propose ne sont qu’une base de réflexion même si mûrie avec le souci d’être raisonnables, c’est-à-dire voulant préserver les impulsions que la collectivité s’est données pour se conduire jusqu’à l’existant d’aujourd’hui et cela sans ruptures déchirantes comme parfois, responsables, c’est-à-dire de disposer des connaissances, des moyens et de la volonté de les installer collectivement mais oser pousser sur l’amélioration des causes des insatisfactions quitte à être impertinent, et réalisables, c’est-à-dire les aborder et les traiter selon leur impact sur l’insatisfaction de la collectivité en fonction de la capacité et surtout de leur utilité à le faire. Mais dans tous les cas, ces notions qui se veulent être des supports opérationnels aux trois valeurs de la République sont un préalable incontournable à tout débat :

Le concept de Liberté s’appuie dans ma projection, sur trois notions :
– La liberté d’adhésion ce qui signifie que les valeurs de la collectivité sont acceptées et portées par l’adhérent et que celui-ci renonce aux siennes pour y évoluer en agissant en cohérence avec elles.
– La liberté d’opinion, ce qui signifie que chacun a le droit de penser et d’agir comme il l’entend, dès lors que ni son opinion ni ses actes n’entravent les valeurs ou ne nuisent aux autres ou à la collectivité
– La liberté d’ambition, ce qui signifie que l’adhérent peut choisir son destin et le vecteur sur lequel il projette son devenir dès lors qu’il veut s’en donner les moyens sans porter préjudice aux autres ou à la collectivité en n’en voulant pas.

Pareillement le concept d’égalité s’appuie également sur trois notions :
– L’égalité de droits, ce qui signifie que les règles valent pour tout le monde sans exception et que les privilèges et autres accommodements n’y ont pas leur place encore moins, de façon définitive.
– L’égalité de devoirs, ce qui signifie que tout un chacun est égal aussi devant la contribution à produire pour la collectivité, sans privilège ni accommodements, et ceci, volontiers.
– L’égalité de solidarité, ce qui signifie que la collectivité vient compenser les exclusions ou difficultés ponctuelles pour chacun sans exception et sans qu’il s’agisse d’un dû illimité qu’il ne se donne le devoir de remédier obstinément.

Enfin, il en est de même pour la fraternité qui s’appuie elle aussi sur trois notions :
– La fraternité d’éducation, ce qui signifie que chacun se doit d’acquérir les connaissances de communication suffisantes pour évoluer sereinement dans la collectivité qui les enseigne,
– La fraternité de santé, ce qui signifie que chacun a le droit à l’assistance médicale que son état requière mais qu’elle ne le dispense pas de son devoir de la préserver selon les prescriptions connues qu’elle préconise,
– La fraternité de civilité, ce qui signifie que rien ne justifie un manquement quelconque de respect ni aux valeurs, ni aux personnes, ni aux biens, ni à l’environnement dans lequel la collectivité évolue et qu’elle protège.

Avec ces notions, concrètement délimitables et donc repérables, tout membre de la collectivité peut se déterminer par rapport à elles et évaluer concrètement sa satisfaction ou l’amélioration qu’un projet porte pour faire ses choix ou qu’il voudrait voir installer. En lisant ces lignes de nombreuses images extraites de la vie quotidienne s’imposent spontanément à nous pour les cautionner ou les ajuster.
Et même si l’une ou l’autre est discutable ou doit être remplacée, ce sont ces notions qui permettent de définir les valeurs avec lesquelles l’insatisfaisant doit être formulé pour pouvoir apporter des solutions pérennes, ce qui est du ressort du projet politique à voter. Il ne s’agit pas de dire « trop ou pas assez », qui sont ces jugements de valeurs sans référence mais est ou n’est pas dans le seuil de basculement entre les deux, comme un ballon par rapport aux lignes de jeu, sorti ou pas ? Pour exemple, le comportement individuel doit-il être celui de l’assisté pour faire écho à la prière du donnez-nous notre pain quotidien, ou celui du contributeur libre de ses choix ? L’égalité des droits, des devoirs et de solidarité associée à la liberté d’adhésion, d’opinion et d’ambition répondent sans équivoque à la question.

Puis vient le temps du cheminement

Si d’aventure cette formulation et cette structuration des valeurs en notions opérationnelles faisait consensus, nous pourrions établir un diagnostic de l’insatisfaisant et le formuler par rapport à une même base de référence. Ce serait cette base, les trois valeurs de la république prenant appui chacune sur trois notions concrètes de la Vie en Collectivité, qui constituerait donc la vision commune et partagée du projet de société : Vivre bien avec le sentiment de pouvoir diriger sa vie parmi les autres.
De ce fait, l’insatisfaisant ne peut prendre plus que trois formes concrètes sur lesquelles on peut agir efficacement :
– L’écart de respect et de rigueur de l’application individuelle ou collective de la notion elle-même qui nécessite le garde-fou qui a autorité à le maîtriser avec discernement mais détermination :
L’incivilité ou l’abus de solidarité en sont des exemples lisibles.

– L’écart de moyens ou de ressources allouées aux dispositions et principes convenus pour obtenir le résultat escompté :
Les échecs dans l’acquisition des connaissances, le manque de moyens pour la santé et le manque de capacité de revenus pour certains en sont là aussi des exemples lisibles. Dans ce dernier exemple, particulièrement sensible, tant que la valeur de basculement entre le niveau de revenu pour faire face aux besoins (se nourrir, se protéger, s’épanouir) n’a pas été défini (comme l’idée d’un SMIG résultant d’une liste factuelle de ces besoins convenus et de leur coût), l’insatisfaisant par rapport à la sollicitation des envies de consommation et de soumission à la mode viendra pourrir les débats. La satisfaction des envies est du ressort de l’ambition, donc de cette liberté de vouloir ou pas s’en donner les moyens, mais, dans ce cas, c’est donc y renoncer sans invoquer une quelconque injustice. Non ?

– L’écart de la notion elle-même du fait de son obsolescence ou de son inadaptation à l’évolution de la collectivité :
Les bras de levier obsolètes des modes de financements originaux de la solidarité comme le maintien de privilèges qui ont perdus leur sens et attribués dans un contexte « pouvant » le faire ou la définition des exigences environnementales incomprises en fonction de l’évolution des connaissances en sont là aussi des insatisfactions concrètes d’actualité comme la difficulté d’adéquation des compétences au marché du travail.

Encore une fois, en aucun cas, l’insatisfaisant peut n’être qu’une différence de jugement ou d’appréciation même si elle procède d’un signal avant-coureur. Quelle que soit la façon de poser le problème, cette différence sera toujours tributaire des critères utilisés pour le poser et de la valeur de référence cible qu’on leur aura donnée. C’est donc à la fois sur la base des mêmes critères qui ont servi à la définition de la situation et à l’écart entre la valeur constatée et la valeur cible que se traduit et doit s’exprimer l’insatisfaisant. S’il n’y a pas de consensus sur ces fondements nulle résolution de problème n’est concevable, même pas par la prière !
Non, non et non.
Comme des préliminaires sont indispensables aux ébats amoureux, ces présupposés le sont pour des débats consciencieux.

– C’est qui l’opinion, Maître ?
– La différence entre le tout et la somme des individus qui font le peuple, Disciple !
– Mais alors pourquoi dit-on qu’on peut la manipuler, Maître ?
– En lui flattant la tête et la queue avec ce qu’elle a envie d’entendre, on emmène le peuple à la boucherie comme au bordel, Disciple !

Gérard Leidinger

Posté le 27 janvier 2020
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