Billets d'Humeur
Les brèves (pas tant que ça !) de la mouette rieuse
Les Dépités Européens vont élire leurs Députés
Le mirage européen ne semble plus faire rêver personne en dehors des vindicatifs en mal d’ersatz interne qui vocifèrent leur mal-être local ou partisan, sociétal ou paysan. Passe encore, s’il y avait un débat qui compare les projets où l’on veut nous conduire en mieux selon l’obédience qui fait son homélie, mais, les affiches et les tracts me sont à témoin, rien que des têtes de listes sans aucune piste pour présenter leur créature ! Je vous demande alors, voter des députés, c’est pour nous emmener dans quelle Europe ? Au fait, en avons-nous vraiment envie après ce qui nous a déjà été vendu et en être là où nous en sommes, les deux pieds, dedans ?
En 2017, dans son livre blanc, Jean-Claude Juncker avait esquissé cinq scenarii pour lui choisir un cadre : 1, ne rien changer, 2, ne garder que le marché unique, 3, une Europe à plusieurs vitesses, 4, une cristallisation sur certains domaines, 5, le pas de la fédération. En 2024, lâchement, nous n’avons toujours rien choisi. A mon sens, ces options sont trop technocratiques ne reposant pas sur des réponses améliorant comme promis, la vie des européens. D’ailleurs, serions-nous d’accord pour formuler ces besoins communs ainsi ?
1. La capacité de subsistance décente et raisonnable dans chaque pays membre,
2. L’accès aux soins et la vie dans un espace la préservant,
3. La disponibilité d’un chez-soi décent dans un environnement salubre et respecté,
4. L’acquisition des connaissances et de la culture assurant la capacité de discernement utile,
5. La sociabilité nécessaire et maîtrisée pour une sérénité collective et protectrice du dehors.
What else ?
De quoi tracer les contours de cette créature et même la rendre attrayante. Mais qui s’y colle et dans quelle instance en association avec les autres pays ? Laissez-moi pleurer, on ne sait même pas l’esquisser chez nous en interne…
L’Europe, association d’intérêts frelatés ?
Il y a donc l’Europe vécue, comme une grosse association d’intérêts disparates souvent controversés, fondée sur les soucis de Paix et d’Economie, dé-servis par des Lois du Marché débridées et soumises à la spéculation. Ce qui donne une Europe illisible et administrée, pas désirée par le citoyen quand il ne la rejette pas, puisque vécue comme contraignante.
Certes, l’association a su installer la Paix, après la leçon morbide de 39-45, que d’aucun, d’ailleurs, semble vouloir oublier pour satisfaire d’autres mirages nuisibles sans issue.
Mais quelle est donc cette ambiguïté qui devrait servir la sérénité d’y vivre bien alors qu’il s’y fait une guerre économique pour favoriser le profit ? Expliquez-moi où est l’intérêt commun quand, par exemple, l’Irlande tente l’entreprise française de venir s’installer chez elle sans autre raison que de ne payer que 12,5% d’imposition au lieu des 25 en France, et échapper à la différence ? Et la France qui ne dit rien, se félicitant même de l’augmentation des IDE (Investissements Directs Etrangers) chez elle, mais occultant les siens plus importants chez les autres, le Marché faisant ses lugubres offices par-delà les intérêts « associatifs » promis ?
L’Europe, communauté de moyens gaspillés ?
Il y a l’Europe essayée, comme une grosse communauté de moyens, dispersée et hétéroclite, qui cherche à satisfaire tout le monde mais n’atteint personne, à l’image de sa PAC pour les agriculteurs. A force d’administration sans vision, elle n’embarque personne faute d’ambition commune irrésolue alors que chacun devait y trouver sa prospérité. Et il n’y a toujours pas un semblant d’intention, au regard des atermoiements récents. Dites, pour être clair avec ceux qui y croient ou le prêchent, qu’en sortant de la communauté, aucun n’est viable en autarcie. Les deux pieds dedans, disais-je !
A l’image des communautés de communes, la configuration d’une Europe « communautaire » de moyens est donc partiellement esquissée. Avec l’Ukraine agressée par son indélicat voisin, la communauté de défense pourrait devoir esquisser, là aussi, les contours de la créature et la rendre, de ce point de vue, salvatrice ! Mais qui s’y colle ?
Comme pour l’Irlande et l’économie, la configuration s’assoie sur la même guerre « politico-économique » d’intérêts contradictoires, où chacun négocie pour les siens et non pas dans l’intérêt collectif : réglementations hétérogènes, spécificités historiques, crispations culturelles, politiques disparates, cocktail ingérable de discordances, bousculé par le futur indéfini d’une transition écologique qui s’affirme avec ce qu’il ne faut plus, sans savoir dire ce dont il est besoin, encore moins, à convenir revisité. Pauvre moteur thermique, pauvre lithium !
L’Europe, fédérations de pays déculturés ?
Il y a l’Europe inavouée, comme une fédération des pays adhérents à une ambition commune implicite que personne ne sait/veut formuler, mais incompatible avec leur histoire respective et la diversité des cultures qu’ils se sont données sous les coups de boutoirs de leurs velléités et de leurs égarements successifs. Alors même que les aspirations individuelles de leurs citoyens sont toutes coulées dans le même creuset, les cultures persistent ! D’ailleurs, c’est quoi une frontière vue du ciel et en quoi sert-elle, en réalité, les prospérités même revisitées ? Alors, dans le sillage de la Corse qui se dissocie sous prétexte de spécificités, la fédération Europe semble plus qu’une utopie bien prématurée.
Même si l’on peut imaginer que dans un avenir plus ou moins lointain, on puisse prédire que le monde va se regrouper en cinq ou six conglomérats socio-géographiques, on doit s’interroger sur leur processus de construction. Avec l’accumulation des désillusions récurrentes partout dans le monde, en même temps que les projections obsédantes de civilisations futuristes qui s’affrontent encore et toujours dans nos imaginaires, le cursus semble tracé. Que ce soit pour des états unis d’Amérique du Nord, du Sud, d’Europe, d’Afrique, d’Asie ou d’Orient, la mutation ne se fera pas sous un autre mode que celui de la dictature, si la démocratie ne sait pas se repenser, s’affranchir des lois du marché et tirer substance des cultures respectives. L’indiscipline libertaire et l’égocentrisme exacerbé sont autant de contrindications fondamentales à toute aspiration collective consensuelle dès lors qu’ils ne sont pas assujettis fermement à l’intérêt collectif esquissé par la transition écologique. L’exigence est déjà délicate en interne à chaque pays, alors de là à pouvoir prétendre à l’être pour un conglomérat ? Lâchement, chacun attend l’impact …
Alors, pour quelle Europe élire des députés ?
Qui dessine donc la communauté de pays pour consolider la Paix, la subsistance de chacun et la Transition heureuse à l’égarement fossile et consumériste spéculatif ?
Il n’est même plus question de courage politique ou autre, mais simplement d’évidence d’accepter, qu’aveuglés par l’insouciance gagnée sur l’insécurité et le confort sur la survie, la perception de l’inévitable nous échappe. Et comme personne ne propose une image alléchante du monde revisité où l’on devrait se conduire, chacun se raccroche à ce qu’il a ou toujours espéré, tant qu’il y vit en frustration entretenue le temps qu’elle semble aguichante !
Mais, alors, pour quelle vie meilleure européenne faire élire des députés sans projet par des dépités sans envie ?
Gérard Leidinger
Auteur de Clitoyens, prenons en main notre Vivre bien