Billets d'Humeur

Les brèves (pas tant que ça !) de la mouette rieuse

La Retraite déconomocratique

Il y a l’insatisfaisant du citoyen révolté qui défile dans la rue, de celui qui n’en pense pas moins dans sa réserve ou de celui qui se désolidarise de la cause publique en lui disant d’aller se faire pendre ailleurs parce que sans plus aucune illusion. Tous ont mal, ici à la retraite, plus ou moins douloureusement d’ailleurs, mais chacun la sienne, ce qui la rend "insoluble". Comment, dès lors, si le mécanisme du pavé remplace le débat démocratique, pouvoir s’attaquer au problème : l’opinion contre la réforme arbitrée par l’acceptabilité des désagréments causés ? Ubuesque, mais navrant constat d’échec démocratique après l’abstention.

Y a-t-il un problème ?

Alors si le pavé obtient gain de cause, le problème est réglé comment ? Mais, au fait, à quel problème, répond la réforme engagée et contre quoi le pavé se bat-il ?
1. La retraite n’est pas un dû, c’est un choix collectif.
2. L’âge légal de départ n’est pas un jalon naturel, c’est un compromis.
3. La durée de cotisation n’est pas une compétence, c’est un calcul.
4. Le montant de la rente n’est pas une aumône, c’est une proportion négociée,
5. Le mécanisme n’est pas un cycle planétaire, c’est un concordat conventionnel.
6. La pénibilité n’est pas une denrée monnayable, c’est une indignité inacceptable.
7. Le travail n’est pas une punition, c’est un moyen de subvenir à ses besoins.
Si je ne m’abuse.

En m’essayant à ce regard transversal sur le principe, je me permets juste de rappeler que toute rigidité le tue, tôt ou tard : autant celle de défendre becs et ongles tout essai d’adaptation, que celle de vouloir imposer une adaptation, sans avoir obtenu le consensus sur l’insatisfaisant, puisque le choix est, par définition, consensuel pour être établi.
Reprenons-donc : quelqu’un ou quelque chose dans le système remet-il en question ce choix collectif ? Est-ce l’équilibre financier, auquel cas le calcul n’est pas juste ou sont-ce les données du calcul qui jouent avec les circonstances et relativisent les résultats selon le moment où on le regarde. Et si c’est le calcul, pour faire simple, de la durée de cotisation proportionnelle à la durée de pension, d’évidence la prolongation de la durée d’espérance de vie vient poser le problème des données initiales. Imaginons, vivre vingt ans de plus ? Ainsi toute rigidité sur cet aspect tuera le système. Mais qui croire pour poser l’insatisfaisant vrai ?

Si le problème est la durée de cotisation, que vient-y faire l’âge « légal » de départ, en dehors de crisper inutilement les esprits ? Pour faire simple, une fois encore, le choix collectif est d’avoir installé le mécanisme du repos bien mérité après une période de travail durant laquelle on cotise pour pouvoir disposer d’une rente qui permet de subvenir à ses besoins, par définition, moindres en retraite, la maison étant payée et les enfants élevés. Ce qui démontre bien que c’est le calcul de la proportion entre la durée de cotisation et le montant de la rente proportionnée qui déclenche la date de départ à la retraite de tout le monde équitablement. Ce qui induit que travailler tôt dit partir tôt et au contraire. Le reste est agitation superfétatoire ! A quoi répond la notion de l’âge « légal », en réalité ?

Comme si les choses n’étaient pas suffisamment équitables pour ne pas dire injustes, il en est qui rajoutent à la difficulté celle de faire la part des choses entre les emplois du point de vue de leur pénibilité. A raison, certes, il suffit de porter un sac de ciment de 50 kg pour s’en rendre compte concrètement ! D’ailleurs, ils sont devenus 30 avec le constat ! Avec les mêmes bras de leviers de nuisance, on a concédé à certains, des avantages et des privilèges, comme aux temps des rois, pas sur un bon vouloir, mais sous le poids de l’Opinion pris en otage ou sous la mollesse des décideurs. Mais, dans presque tous les cas, irrévérencieusement. Je me sais « limite » en écrivant ces mots, mais les assume pleinement car ils m’interpellent sur la « valeur » ou la « pertinence » de l‘obtenu : n’aurait-il pas mieux valu se battre pour la suppression de la pénibilité au lieu de vendre l’intégrité de son corps pour quelques mois de pension de plus, malheureusement mal vécus, puisque cassés ? De nos jours, avec les progrès et les moyens à notre disposition, la pénibilité est une atteinte à l’intégrité physique et, à ce titre, n’est pas monnayable : elle s’élimine. C’est cela l’équité, de mon point de vue ! De même, en quoi la pénibilité supprimée ne sait-elle pas abroger les privilèges qui y étaient adossés ?

D’aucuns renchériront en invoquant le mécanisme de la répartition, toujours pour faire simple, que les cotisants d’aujourd’hui payent les retraites d’aujourd’hui dans une succession métronomique de principe, certes, mais avec une faille lisible Si le calcul des montants des cotisations et des pensions semble raisonnablement circonscrit, celui de la proportion du nombre de cotisants et de celui de pensionnés dérape sournoisement sous l’influence de vagues contradictoires : l’afflux de pensionnés portés par l’espérance de vie et le reflux de cotisants lâchés par le nombre d’emplois, pour les plus âgés de surcroît, et les turbulences sur les fondements du libéralisme sur lequel repose le système. Il en est deux aspects : intrinsèquement d’une part, l’absurdité même de la croissance nécessairement limitée et ses prétextes fallacieux et la révolution numérique en cours qui redistribue les cartes sans discernement et, d’autre part, explicitement, le dérèglement climatique qui l’hypothèque mécaniquement, puisque plus il se maintient, plus, il dérègle. Ainsi toute rigidité sur ces aspects tuera le système de toutes les façons. Sans « accompagnement » volontariste de l’initiative libérale sur laquelle repose la création d’emplois, comment vouloir espérer encore que le hasard ou la main aveugle du Marché puisse assurer l’adéquation cotisants/pensionnés si la sobriété ruine, de surcroît, les mirages obstinés du système ?

Saurions-nous être raisonnables, collectivement ?

Sauf à être, à mon tour, dans une observation trop émotionnelle devant l’accumulation des difficultés et autres murs de désillusions, force est de constater que personne ne propose une espérance, une vision, trop occupés à rejeter les responsabilités sur l’autre bord. Avec assiduité et conviction. Est-on contre l’inutile âge légal de départ ou contre la durée de cotisation nécessaire à son financement ? Est-on contre le principe d’y toucher ou contre la tumeur qui grossit de peur devant l’amas de difficultés et d’inconnues qui s’imposent ?
Alors, Opinion et Gouvernants, Élus et Aspirants, puisque personne ne sait où est la vérité juste et vraie, qui vous empêche de convenir ensemble de ce qu’il doit advenir de nous en dépassant vos clivages émotionnels et dogmatiques ? N’oubliez pas que de devoir couper les cheveux qui repoussent de deux ans est peut-être un moindre mal que de couper les deux jambes sur lesquelles on marche : le système économique dévié et la croyance libérale égarée. Non pas qu’il faille en convenir, non pas qu’il faille s’y résigner, non pas qu’il faille tout gober. Mais quand vous aurez pris aux riches tout ce qu’il y avait à prendre, redistribué aux démunis tout ce dont ils avaient besoin ou envie, aurez-vous réglé le problème pour qu’il ne se reproduise plus ? Comment feront les riches pour renouveler l’opération pour la génération suivante ? Mais quand vous aurez remplacé l’enfer d’hier par le travail d’aujourd’hui en continuant de lui donner le goût de la damnation des pêcheurs, qu’aurez-vous à proposer en pâture aux appétits désœuvrés d’un peuple en dérive sur un pavé devenu trop mouvant ?

A lire l’Histoire et entrer dans les causes de ses mouvances, on comprend que la domination d’Homo Sapiens sur l’ensemble de la Vie sur Terre, est due à sa capacité de conceptualisation d’histoires abstraites qu’il se raconte au point d’y croire : la vie après la mort, Dieu, l’argent, l’entreprise, l’État… Plus il est nombreux à y croire et plus il est organisé pour la mettre en œuvre avec souplesse, plus il est puissant : les Sumériens, les Égyptiens, les Communistes, les Tsars, les dieux… Mais plus il est rigide et désorganisé ne sachant s’adapter aux circonstances, plus il s’étiole et se vautre : les mêmes et bien d’autres … dont nous, dans le processus.
Quand on lit « organiser », on doit comprendre coopération (méthode, construction et attribution) servant une croyance collective partagée, mais souple : j’y entends, sachant s’adapter aux évolutions des circonstances. Je voudrais donc que les organisations syndicales et les sympathisants qui s’agglomèrent contre la réforme, comprennent qu’ils ne coopèrent pas, ils additionnent leur refus (pas souple). Pour preuve, ils n’ont pas de « croyance » collective à contre-proposer. J’aurai bien aimé pour le progrès de tous et la démonstration de ce dont il est besoin pour pareillement définir la transition écologique, que le pouvoir se donne, lui aussi, un insatisfaisant de masse pour l’élaborer (pourquoi la réforme ?) et le mettre en œuvre (pour quoi de mieux ?), l’organise et le soumette au peuple, au lieu de se figer dans ses rigidités (pas souple) sur un bien inconsistant argument d’une illusoire légitimité d’un vote déconomocratique, en lieu et place d’une « croyance » collective adaptée.

Mais c’est quoi cette déconomocratie qui nous atrophie !

Gérard Leidinger
Auteur de La Déconomocratie

Posté le 19 janvier 2023
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