Billets d'Humeur

Les brèves (pas tant que ça !) de la mouette rieuse

Le Pire dans l’à Peu près d’Après…

Ils ont donc ouvert les cages par petits bouts, comme pour tâter le terrain et observer les effets progressivement pour se réserver le droit de refermer au cas où. On ne comprend pas toujours bien tout, sauf à savoir que le masque est vivement conseillé maintenant et obligatoire en entrant chez certains mais pas chez tous, que les gestes barrières sont à 1m ou au moins à un fauteuil de l’autre, que ce n’est pas fini mais on déconfinit quand même. Et nous, désinvoltes plus qu’irréfléchis, piaffant d’impatience comme des fauves en cage, on se déverse précipitamment dehors pour reprendre nos repères, quand les portes rouvrent enfin, libérés !

Alors qu’est-ce qui a changé ?
Les envies d’acheter reprennent rapidement au point d’accepter de faire la queue pour entrer dans certains magasins, de la refaire pour atteindre une cabine d’essayage décontaminée entre chaque occupant, de la refaire encore pour rejoindre celle disciplinée des marquages au sol salvateurs pour le passage en caisse. Les « besoins » de sortir nous remmènent au restaurant où l’on se prend les mains dans la serviette pour remplacer le masque et le masque pour enlever le surplus de mousse au chocolat sur le bord des lèvres, en n’étant pas trop regardant sur les gestes barrières du service, bien en peine de déposer l’assiette sans les transgresser. Mais en est déconfini !
Et ce sentiment retrouvé d’appartenance à la foule, cette immersion salutaire dans le bain des uns et des autres qui nous a tant manqué, nous conforte dans la conviction que « ça n’arrive qu’aux autres autres », naturellement. Alors, au beau milieu des gens, la rigueur des gestes barrières se ramollit un peu plus pour raccourcir le mètre du périmètre au péril de se le faire mettre, de tomber le masque pour mieux sourire au risque de grimacer quand la contamination nous sera tombée dessus, de mélanger les genres de l’insouciance à la griserie de l’indiscipline à braver le danger, histoire d’affirmer ouvertement son besoin de liberté ou d’indépendance, coûte que coûte.

Alors qu’est-ce qui a vraiment changé ?
Inutile de mettre du rouge à lèvre sous le masque et un peu moins de fond de teint et on s’étonne que leurs ventes baissent. Mais est-ce par bon sens par tout ce qui s’est attaché à l’intérieur du masque ou par changement de perception du besoin ? Et le télétravail pour ceux qui ont pu y goûter voire y prendre goût : il aura fallu cette « contrariété » pour s’apercevoir que l’entreprise n’est pas nécessairement un lieu physique avec des horaires plus ou moins contraints mais une valeur ajoutée contributive d’un projet pour justifier son appartenance ou mieux son « utilité » ? Deux ou trois mois suffiront-ils pour installer de nouvelles habitudes ou de nouveaux repères ? Mais en tout état de causes, ils auront démontré que ce n’est pas aussi pénalisant qu’imaginé pour justifier son éviction du système avant, même si les apparitions impromptues des enfants lors des visioconférences ont su dérider des débats houleux ou insipides ou contrarier des chefs grincheux trop austères pour être bienveillants.
2,5 ce sont les kilos pris par personne en moyenne pendant le confinement : le paradoxe est de noter qu’en même temps, le choix des aliments s’est tourné vers le bio et le local. Non, je ne fais pas la relation de cause à effet entre cette orientation qualitative et les kilos supplémentaires, d’abord parce que je n’en sais rien mais surtout parce que je crois plus au grignotage apéritivisé du désœuvré et à l’inactivité du séquestré pour les expliquer. Reste à savoir si cette « tendance » va perdurer ou si, sous les coups de boutoir des prix et surtout de la course au temps pour faire la cuisine, les bonnes vieilles habitudes ne vont pas reprendre le dessus.

Alors qu’est-ce qui a changé sûrement ?
Pour compenser la situation et limiter autant que possible la casse, on a ouvert le tiroir-caisse, opportunément. Sauf que du coup, on a creusé la dette et il faudra bien penser, un jour ou l’autre, à la rembourser. Ce n’était déjà pas décent de laisser celle due au gaspillage d’avant à la charge de nos enfants, et même s’ils comprendront les sommes abyssales supplémentaires dues à la pandémie, ils ne seront pas très heureux de s’en voir embourbés si nous n’agissons pas déjà nous-mêmes un peu.
Pour ceux qui s’attendent à un changement de paradigme du point de vue de la consommation, il va falloir être fort en maths pour solder l’équation : travailler plus pour rattraper le temps perdu ne suffisait déjà pas à combler les déficits d’avant avec une Terre aux ressources finies, alors le consommer moins ou mieux espéré n’a aucune chance en soi de pouvoir libérer un effort supplémentaire pour grignoter la part de dette rajoutée fraîchement. Et, comme si cela ne suffisait pas à rendre le calcul délicat, voilà que l’Opinion, sensibilisée par la cause ou désabusée par les choix inopérant, s’oriente d’après les urnes, vers la transition écologique dont on nous promet la capacité de remplacer les emplois condamnés parce que liés au CO2 et redistribuer les priorités de l’argent dans ce que l’on croit sens au lieu de dans la croissance.
L’effrayant dans la nécessité absolue de devoir y aller même si on ne sait pas trop comment, c’est que tout est à portée de choix et uniquement, rien d’autre ou si peu, mais déjà disponible, puisque les signes extérieurs de dépollution observés pendant l’interlude ont démontré les mécanismes au point de nous l’avoir rendue possible avec quelques ajustements.
S’il est un changement, c’est sans doute celui-là le pire, parce qu’il impacte tout, en même temps et partout, radicalement, alors que personne ou si peu n’est réellement ni préparé ni déconfiné d’avant mais, maintenant, complice puisque tout un chacun sait. En réalité, il me semble que ce soit l’incertitude et l’inconfort qu’elle engendre qui nous font craindre le pire parce que l‘on a toujours cherché à s’en affranchir depuis la nuit des temps avec, d’ailleurs, une certaine efficacité dans les « glorieux » récents qui nous rendent si nostalgiques au point de vouloir les faire perdurer.
Et voilà que l’après nous y replonge, irrémédiablement, et, là, ça se voit que ce n’est plus une crise !

le disciple
– Comment choisir un cap avec tant de divergences et de sollicitations contraires, Maître ?
– Un cap est une illusion pour te détourner de la seule nécessité : t’adapter, Disciple !
– Mais alors je n’ai pas de but pour me construire un avenir, Maître ?
– Sauf si « construire » signifie apprendre tous les jours d’aujourd’hui ce qu’il sera besoin pour vivre encore demain, s’il t’est donné, Disciple !

Gérard Leidinger

Posté le 28 juillet 2020
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