Billets d'Humeur
Les brèves (pas tant que ça !) de la mouette rieuse
L’IA, même pas peur, même pas leurre !
De nombreux post ont fleurit sur l’IA et plus précisément sur ChatGPT en lui prêtant des statuts et des propriétés aussi variés qu’hétéroclites au travers d’exemples et d’opinions aussi discutés qu’irrésolus. Loin de moi de vouloir entrer dans la danse, n’étant absolument pas éduqué ni aux pas, ni aux (algo)rythmes, mais, troublé par son indiscutable impact sur notre manière de penser et sur nos organisations, je ne résiste pas au besoin de confronter mes entendements d’analphabète en cherchant à m’y adapter, ni par peur ni par le leurre qu’il m’inspire, mais par la compréhension de son objet même.
Ça sert à quoi, en fait ?
Arnaud Billion ne la considère même plus comme un outil, relayé en cela par certains de ses pairs jusqu’à envisager de lui conférer un statut d’anti-outil ? Je les laisse à leur débat m’étant lamentablement vautré dans une bien trop naïve flaque d’ignorance en commentaires, ce qui m’a renvoyé à mes peurs et au leurre dans cette chasse aux données qui alimentent justement le processus apprenant. Je n’y ai pas trouvé réponse à mon « à quoi ça sert ? » qui aurait pu me faire comprendre la question sur son statut d’outil : je pense, ici, à mon pauvre marteau, allant jusqu’à dire, et vous allez rire, que l’anti-outil marteau pouvait être une tenaille ! C’est dire mon inculture ! Je me suis donc fait mon film, et, hormis de « faire proposer une réponse par un logiciel à une question posée par des humains », je n’ai pas trouvé mieux. Sauf à l’enrichir par le fait que c’est sur la base d’une capacité à prendre en compte une quantité infinie de données (potentiellement tout ce qui est disponible sur le réseau connecté), qu’elle synthétise une réponse en fonction d’un « paramétrage » initial « moyenné » (tout venant ou sélectionné) ou pas, doté d’une capacité à apprendre et donc à affiner les conclusions en fonction de la pertinence de ses productions. Qui ou qu’est ce qui lui permet de statuer sur la « pertinence » et d’en apprendre, cela m’échappe, mais m’invite à me raccrocher à une intention ?
Ce qui alimente la peur
Après la question du paramétrage, ce qui vient troubler le récit, c’est, une fois encore, ce qu’il en advient : en projetant sa capacité d’apprentissage, l’intelligence artificielle va « nécessairement » pouvoir se doter d’une capacité d’auto-détermination, est-il prédit. Et nous voilà partis comme en 14, la fleur au fusil avec dieu comme modèle : fabriquer l’Homme à son image, donc, fabriquer l’IA à notre image !
Mais, comme dit le proverbe soufi, « imiter la vertu tient de l’imitation, pas de la vertu ». Donc cette intelligence, si elle l’est, pourquoi diable, imiterait-elle l’Homme, d’autant qu’elle dispose de l’ensemble des données et qu’apparemment, donc, elle sait danser, éduquée, elle, aux pas et aux algorithmes ? Elle sait donc tout ce que l’Homme est capable de faire à son prochain : le mettre en esclavage, le tromper, le blesser, l’abandonner, le tuer, le dominer et j’en passe des fourberies, dont on mesure quotidiennement l’étendue et les méfaits. Qu’en ferait une intelligence intelligente pour n’obtenir que les mêmes dégâts et montrer que, comme lui, elle n’a rien appris ! Sous cet aspect, je n’en ai, donc, aucune crainte.
On lui prête, par exemple, l’intention mimétique de soumettre l’Homme à son profit. Elle a plus intelligent et plus simple à faire que de se dépenser à entretenir et à surveiller sa suprématie. Il lui suffit de lui enlever toute utilité. Voilà bien plus efficace et sans gaspillage d’énergie : l’indifférence ! Ce seront les Rousseau et autres pairs qui seront contents de se voir délestés de tout travail ! Chiche !
Ce qui entretient le leurre
Il est plus sinistre encore pour moi, analphabète, de devoir intégrer dans ces projections que je qualifiais en introduction d’irrésolues, la notion de conscience, comme si, avec le toujours prisme du mimétisme, il en était besoin. La nature nous en a doté par itération pour déclencher les réactions nécessaires à la survie, les notions de besoins et de douleurs, et les ont nécessairement coordonnées autour d’une entité, le « je » pour éviter la dispersion. Ce je, à un moment donné, a su se doter de la capacité de conception d’une abstraction et a fabriqué une entité virtuelle dans son cerveau sans qu’il lui soit besoin de la matérialiser pour la mettre en contact de l’un de ses cinq capteurs initiaux pour y croire. Sauf à vouloir la partager et dans ce cas, il eut recours à un subterfuge comme l’hostie du chrétien. Dans cet ordre d’idée, l’IA a également plus simple à faire que de s’encombrer de cette « entité » pour synthétiser sa pensée puisque connectée, elle est en partage permanent. Apprenant, elle intelligemment, il n’est aucune raison d’opposer des opinions mais simplement de les synthétiser comme son programme initial le lui a appris. En cela, le mimétisme apparait également indifférent : à quoi peut donc y servir le « je » et la coordination d’identité associée ?
Justement, pour faire court, il est une clé élémentaire, elle aussi, à prendre en considération dans le leurre que peut représenter cette notion de conscience évoquée. Sans les règles qui régissent la collectivité pour que la liberté puisse s’y exprimer, il n’est besoin de responsabilité que pour l’identification de l’auteur d’un acte. L’avocat ou le juge qui vont statuer sur le geste, vont même y intégrer les notions de connaissances et de moyens pour les associer à cette intention et obtenir une cohérence ou une complémentarité éventuellement nuancée qui « sanctionne » cette responsabilité. Dès lors que cette précision donne « corps » à la conscience et inversement, et puisqu’on ne sait pas y circonscrire ce « corps » de l’intelligence artificielle, tant les ramifications et les interdépendances sont intriquées les unes dans les autres, il est insolvable de chercher à statuer de la sorte. Ce qui engendre deux questions :
– Pourquoi l’intelligence artificielle aurait-elle une intention sans besoin ni douleur, coordonnés ?
– Pourquoi devrait-elle se doter d’une intention puisque l’Homme s’en remet, lui-même, au hasard ?
– T’inquiètes, ça va le faire.
– Non, justement, car c’est le hasard qui établit le scénario !
– C’est que les interdépendances des activités et des circonstances sont ingérables.
– Mais, dans ce monde, c’est ce que nous voulons en faire qui devrait nous guider !
– Alors là, tu as un problème, sapiens : c’est qui ce « nous » pas assez intelligent pour se doter d’une intention ?
Gérard Leidinger
Auteur de La Déconomocratie