Billets d'Humeur
Les brèves (pas tant que ça !) de la mouette rieuse
Manque de Densité d’Indignation ou peur du Procès pour crime contre la Consommation ?
Mes derniers commentaires aux articles de sensibilisation à la transition écologique, m’ont valu quelques regards noirs et d’autres remarques cinglantes, dans l’esprit même de ce que je cherchais à reconsidérer dont cet « si changer vous semble trop difficile, attendez de crever de faim et de soif, les problèmes de riches disparaîtront comme par magie », définitif et irréfutable. Surpris par le procès en manque d’indignation, je m’interpelle sur la molesse du passage à l’acte, comme si nous étions sous la menace d’un procès pour crime contre la consommation !
Décroissance comme évidence technique, mais désespérance comme réticence mécanique pour expliquer l’inertie du monde devant la gravité et malgré l’étendue de l’indignation. Ma réponse, naïve autant que dubitative est donc cette interrogation sur les motifs de cette inertie collective malgré les acharnements et les invectives des climato-croisés, étayés par les scientifiques qui proposent des solutions à chaque cause. Mais les uns et les autres, partis en croisade pour délivrer des lieux devenus malsains par trop de carbone, trop de Co2, trop de frénétiques et futiles gabegies, trop d’irrespects et de mépris pour la Terre nourricière, se heurtent malgré l’évidence et l’urgence, à une molesse collective aussi paralysante que suicidaire. Alors…
Dans le rétroviseur
En regardant dans le rétroviseur de l’Histoire de l’Humanité et en prenant appui sur le « récit » que l’on peut s’en faire pour y lire et chercher à comprendre les traces successives laissées par les « cultures » des civilisations locataires précédentes, on peut dessiner une trajectoire plus sophistiquée qu’habituellement proposée, s’élevant obstinément et progessivement vers Mieux, en se dressant, ces derniers temps, vers ce Plus problématique et déviant, survitaminé aux appétits de pouvoirs et d’avidité surmultipliés.
Mais dans ce récit et quelle que soit la période observée, il est trois raisons communes aux différents atermoiements et rebondissements qui l’ont régulièrement secoué :
1. Le pouvoir nécessaire pour cristalliser une intention collective, s’est toujours installé soit sur la force (Alexandre), sur le charisme (Lao Tseu) ou sur la connaissance (Egyptiens). A chaque fois que le mécanisme d’accession a été renversé, il a généré une remise en cause du processus entier et une rupture des équilibres obtenus.
2. L’organisation nécessaire pour satisfaire une interdépendance collective grandissante, s’est toujours installée soit sur la nécessité (la faim), sur l’intelligence (l’écriture) ou sur la croyance (argent). A chaque fois que le motif d’installation s’est usé, il a généré une remise en cause des répartitions et une rupture des complémentarités établies.
3. L’énergie nécessaire pour déclencher une volonté d’amélioration, s’est toujours installée soit sur l’insatisfaisant (le manque), sur la découverte (l’énergie fossile, la roue) ou sur l’absolu (la mort, l’ignorance). A chaque fois que la mécanique s’est essoufflée, elle a entrainé l’apparition, tôt ou tard, d’un rebond en rupture avec ce qui était connu en saisissant l’opportunité d’associations inventives dans les circonstances émergentes.
Dans l’analyse
Mais, notre lecture du récit est-elle éclairante ?
– Piteusement, on y ponctue les rebondissements notoires du récit au rythme des conquêtes du pouvoir par la force pour décrire les territoires et connoter d’une gloriole, plus détestable que remarquable, les étapes successives qui nous ont livré les contours artificiels et clivants d’aujourd’hui, inopérants pour l’Humanité artificiellement découpée.
Et un illuminé reprend à son compte la ponctuation en ce moment même !
– Lâchement, on y masque nos angoisses récurrentes dans le récit au rythme des croyances qui ont stigmatisé les hypothèses et les espérances sur l’Inconnu, plus triviales que salvatrices, par les fois successives qui nous ont détournés de nos propres capacités et déçus de leur sainte inefficacité.
Et des extrémistes illuminés reprennent à leur compte la ponctuation en ce moment même !
– Honteusement, on s’y accroche aux systèmes irrésolus de fonctionnement des territoires disparates et décalés, qui ont émaillés le récit au rythme de leurs élaborations dans une valse d’hésitations besogneuse, plus tributaire des circonstances qu’intentionnelle, en poursuivant notre incapacité de se donner un futur collectif choisi en laissant, depuis la nuit des temps, le hasard nous faire cheminer dans les évènements sous la houlette d’impulsions aléatoires ou manipulées comme celles de la loi du Marché. Jamais, il n’y a eu un but, une trajectoire, une intention, faute de lisibilité.
Et nos dernières élucubrations partout sur la planète, reprennent à leur compte la ponctuation en ce moment même !
Dans le passage à l’acte
Pourtant depuis 50 ans et avec les rapports du GIEC, pour la première fois de son Histoire, l’Humanité dispose de cette lisibilité. Prenons donc leçon du récit pour rebondir efficacement sur la situation critique devant laquelle nous nous trouvons pour la première fois, tous en même temps, la terre entière et tout ce qui y vit. Certes à cause d’une tranche seule de l’espèce du Bipède, entraînant avec ses méfaits toutes les espèces. Et justement des faits même de son Evolution, elle peut, pour une fois, prendre ses responsabilités et se déterminer :
– Parce qu’elle s’est donnée la culture d’une connaissance pour savoir le faire
– Parce qu’elle s’est donnée l’intelligence d’une organisation possible pour se prendre en main,
– Parce qu’elle s’est donnée l’absolu de sa survie pour vouloir collectivement saisir l’opportunité de corriger son inconscience.
Normalement.
Et si ce n’est vous, Gouvernants, à quoi sert de vous avoir élus ?
Les scientifiques ont élaboré le plan (the Shift Project, le GIEC) dont on sort reconnaissant quand on s’y plonge avec conviction. Il est à mettre en œuvre d’urgence même s’il manque le projet de vie qui en découle pour pouvoir nous y projeter et embarquer tout le monde. Sobriété est un moyen, pas un projet. Mais plus inquiétant pour moi, c’est que le traitement de ce qui nous a conduit à cette incontournable « croisade » à en lire le récit, ce processus d’inconscience, n’y est pas planifiée :
1. la reprise en main de l’initiative libérale confiée au hasard pour assurer les adéquations entre offres (utiles et durables) et les besoins (sobres et responsables) dans l’intérêt collectif : la planification y ressemble, mais quelles sont les priorités pour orchestrer les contraintes ? Sans, qu’est-ce qui peut changer ?
2. le recentrage de l’objectif du système économique sur « permettre à chacun de subvenir à ses besoins décents et raisonnablement sobres », en installant un cadrage managérial de l’investissement et de la production utile et durable et non plus spéculatif : sans, qu’est-ce qui peut changer ?
3. La mise sous tutelle du Bipède par un prédateur/régulateur puisqu’il a éliminé ou neutralisé ceux que la nature lui avait installé comme à chacune des espèces, pour les garder à la raison de tous les équilibres pour la salubrité de la Planète et de sa biodiversité. Lui s’en est exclu. Dans aucune race d’aucune espèce vivante, un individu tue ou asservit un autre, sauf chez le Bipède. Sans éradiquer ce comportement, qu’est-ce qui peut changer ?
Sans ce trois dispositions « politiques » puisque sociétales, réponses aux causes racines des tourments que nous avons à affronter, n’en déplaise aux Inconscients, je crains que tout plan ne soit « durable ».
A défaut, le récit n’aura servi à rien, et le constat aura été celui de l’extinction d’espèces de plus dont celle du Bipède, mais lui, d’avoir cru pouvoir s’abstenir de poursuivre l’Evolution qui a toujours appris de ses échecs. Le Bipède, lui, tellement puant, n’a même pas admis qu’il en fabriquait un ! Et comme l’énergie nécessaire pour déclencher la volonté d’amélioration s’est essoufflée dans trop de confort et d’autosatisfaction, d’aucun n’a su disposer du charisme dont il était besoin pour corriger le tir et la posture de peur d’un procès pour crime contre la Consommation.
Je fais avec mon dé à coudre, mais je ne veux pas me résigner à attendre la force des éléments… pour nous recaler.
– Morts, on consomme quoi, déjà ?
– Des regrets, me souffle la dame à la faux.
Gérard Leidinger
Auteur de la Déconomocratie