Billets d'Humeur
Les brèves (pas tant que ça !) de la mouette rieuse
Mon Écologie à Saisonnée !
Bien sûr, j’ai reconsidéré le besoin de me déplacer et j’ai réduis mes kilomètres,
Bien sûr je roule à 110 ou moins sans avoir l’impression de gaspiller du temps,
Bien sûr je ne me déplace plus en avion en France, mais en train,
Bien sûr mon smartphone a dix ans et j’y reconnais mes amis sur les photos,
Bien sûr je trie mes déchets et cherche à recycler ce que je peux réutiliser en bricolant,
Bien sûr je ne renouvelle ma garde-robe qu’en cas de besoin sans succomber à la mode,
Bien sûr je réutilise mes outils manuels pour tailler mes arbres et mes haies après les nichées,
Bien sûr je ne mange presque plus de viande, perturbé par toute la chaîne qui y conduit,
Bien sûr j’ai conscience qu’il faut que notre mode de vie change, mais j’habite un petit village trop petit pour ne pas être mal distribué en transports en communs trop rares, aux commodités d’usage trop sélectives pour y vivre à pied ou à vélo, aux exigences rurales salutaires mais décalées par rapport aux facilités urbaines et aux composantes d’une autre époque, difficiles à adapter et trop gourmandes pour s’y atteler d’un seul coup. Après avoir refait le chaume, changé les fenêtres, il faudrait encore investir pour changer le chauffage au fuel, installer des panneaux solaires sur le chaume, injecter de l’isolant dans le vide des murs et bien d’autres dispositions bien trop lourdes pour mon budget de retraité.
Pour compléter le tableau, n’ayant aucune appétence pour la retraite à laquelle on m’a forcé, je conserve une activité professionnelle pour préserver mon sentiment d’utilité sociale et maintenir une confrontation stimulante avec les autres que le jardinage ne me donne pas. L’électrique y est une option toute aussi compliquée que le train et donc, pas encore en l’état, une solution durable. J’en suis désolé. Si j’optimise et sélectionne mes déplacements, un audit de production en visioconférence n’est pas très pertinent.
Oui, j’ai conscience qu’il faut que notre mode de vie change drastiquement. Le livre de The Shift Project est très explicite sur les enjeux et les solutions techniques, et au regard du petit bilan succinct que je viens de résumer, j’ai bien l’impression d’agir comme le colibri de Pierre Rabbi, avec le sentiment d’impuissance et de déraison qui s’y rattachent, d’incohérence et d’insuffisance aussi, pour toutes les raisons de résignation, d’habitudes et de fatalités auxquelles on s’accroche pendant qu’il en est encore temps faute de repères pour se projeter et se mettre en marche, déterminés et groupés.
Pourtant, en modifiant, certes, encore bien trop modestement ma façon de vivre, je n’ai pas éprouvé de sentiment de frustration, ni de carence à mon contentement, moins encore au sentiment d’être vivant, pas d’agacements contre les dérangements, sauf celle de la culpabilité de ne pas savoir en faire davantage individuellement, puis collectivement. Et plus piteux encore jusqu’à la colère, c’est cette assourdissante incapacité à me projeter les contours de ce monde que l’on dit devoir être sobre : l’arrêt du plus, moins de ce qui est en trop, encore moins d’inutile et de vaniteux, pas de gaspillage, ni de ponction, ni de déchets non recyclés, plus du tout d’énergie fossile. Mais alors, c’est comment vivre en sobriété dans des structures inadaptées et des modes de vie dépassés ? Fais-moi un dessin ! Mieux, fais-nous un plan ! Mieux, toi qui sais, putain, décides !
En rédigeant ces quelques mots, mis en perspective des autres propos que j’ai déjà pu tenir, j’ai bien peur que rien ne changera que sous le coup de la catastrophe, de la contrainte, donc certainement rédhibitoire pour des exterminations ! Il y a trois raisons à cela, celles-là mêmes qui, si elles ne changent pas, nous y conduisent inéluctablement :
– Le piège de la Dette et les appétits froids et inhumains du Marché : sans autorité de régulation et de recentrage de l’objectif du système pour assurer la décence de vivre à tous les Terriens, toute agitation moralisatrice est vouée à l’échec.
– Le piège de l’appétit de pouvoir et de l’asservissement des autres par la force froide et barbare de l’homme : sans autorité de régulation et d’éradication de l’impunité de nuire aux autres humains pour assurer le respect de la vie collective partout sur la planète, toute agitation moralisatrice est vouée à l’échec comme toujours depuis les origines.
– Le piège de l’initiative libérale et des appétits d’accumulation inutiles et privilégiés de l’Homme au détriment des autres : sans autorité de planification et de régulation des équilibres entre le trop et le pas assez, il est illusoire d’essayer de continuer à croire que le hasard fera le nécessaire, raisonnablement et décemment, pour l’équitable de tous les terriens. Toute agitation moralisatrice est vouée à l’échec comme les régimes politiques l’ont tous démontré.
Malgré le bon sens manifesté dans les propos de biens des philosophes qui ont enrichi la pensée de l’Homme tout au long de son Évolution, rien n’y a fait pour modérer sa veulerie et sa couardise. Vouloir espérer que la morale prenne le pas, c’est espérer que l’intérêt s’efface à son profit. Mais que faut-il donc faire pour annihiler ses méfaits, si ce n’est lui faire recracher la pomme que le serpent lui fit manger.
Aller, on efface tout et on recommence, mais on ne plante plus de pommier ! A moins que l’on se soumette à une autorité qui juge nos actes non pas sur le Bien et le Mal, abstraits et idéalistes, mais sur le contribue ou le nuit à la collectivité, plus pragmatique. On ne s’ennuie pas avec celui qui nuit. On le largue sur Mars où il y refonde son monde comme il le veut. Si l’autorité est juste et contributrice, beaucoup s’y adosserons, puisque nous ne sommes pas assez raisonnables sans. Et on arrive à la question de fond : qui la désigne et de quoi est-elle faite ? C’est la même dont il est besoin pour engager la sobriété salutaire de la transition écologique. Et l’hiver ne veut pas vraiment venir… comme la COP27 ne veut pas vraiment sévir…
Alors, toute agitation moralisatrice est vouée à l’échec sans réponse consensuelle à ma question. Hélas!
Gérard Leidinger
Auteur de Clitoyens, prenons en main notre Vivre Bien