Billets d'Humeur
Les brèves (pas tant que ça !) de la mouette rieuse
Nos oreilles auraient-elles des paupières ?
Fermez les yeux et vous coupez instantanément votre rapport avec le monde qui vous entoure. Sauf que ses bruits vous y rattachent encore comme pour vous rassurer. Apparemment, vous êtes encore vivant ! Un soleil trop éblouissant et les paupières nous aident à cligner des yeux pour les protéger, mais pas trop pour continuer à contrôler le chemin que l’on suit. Un bruit trop fort, mais aucun moyen de cligner des oreilles pour limiter l’impact !
Une poignée de main un peu trop moite et voilà un signal de l’état de stress de l’interlocuteur que l’on salue. Entendre l’intonation de sa voix connue et nous voilà renseigné instantanément sur son identité, bien avant de pouvoir le voir. De ce décodage des informations que la Vie capte plus ou moins consciemment et profondément, souvent en fonction des conséquences sur notre quotidien, nous tirons des leçons. Plus précisément, la Vie nous impose par l’expérience que l’on vit au travers des cinq sens, des leçons avec lesquelles on se forge nos attitudes, nuancées par notre culture, dès lors que l’on sait y mettre une signification. Arrêtez donc de hurler à votre bambin qui s’approche de la bougie sur la table du salon qu’il va se brûler ! Du haut de ses 11 mois et quelques pas qu’il vient d’apprendre, cela ne sert à rien, simplement parce que « brûler » n’a pas encore de sens pour lui. Ne dites pas qu’il n’écoute pas, s’il continue d’avancer vers la bougie, parce dès qu’il aura senti ce que « chaud » veut dire, voire très chaud, il n’aura plus besoin de consigne : la leçon aura était prise, mais mieux qu’une leçon, l’expérience qu’il aura vécue, une fois, vaudra tous vos sermons.
Si c’est avec l’expérience qu’ils nous font vivre chacun que l’on se détermine, alors comment se déterminer pour le monde qui vient si nous n’en avons pas encore de vécu ? Entendons-nous ce bruit qu’il fait ?
Aurions-nous des paupières sur nos oreilles pour limiter leur impact, voire de les fermer pour nous en couper ?
Car il y a bien des bruits qui changent, nouveaux ou plus puissants, plus aigus ou plus sourds, certes signaux plus ou moins faibles ou ponctuels, mais suffisamment marquant pour pouvoir les entendre :
- Celui d’une bombe qui explose dans la carlingue d’un avion en plein vol chargé de touristes qui rentrent chez eux,
- Celui des migrants qui affluent aux frontières du havre de paix que semble devenir l’Europe pour un quart du monde en quête de sens et de sécurité,
- Celui des nouveaux nantis chinois qui courent après la qualité de vie de nos pays occidentaux et qui bougent les lignes internes en se faisant entendre en murmurant,
- Celui des pays émergeants qui bafouillent aussi leurs appétits de posséder notre modèle de way of life, oserais-je dire « civilisation », que les images et les sons diffusent dans tous les coins de la planète via les réseaux sociaux…
- Celui des productions à bas coûts qui font si mal à nos emplois industriels que l’on ne sait pas comment remplacer pour donner les moyens de subsistance au plus grand nombre…
Pour ne citer pêle-mêle que ceux qui sont relayés sur le devant des bruits de fond.
Que signifient-ils ?
Ils n’ont pas de signification parce qu’ils n’ont pas de mot pour les identifier ? Ou est-ce que ceux qui doivent leur donner du sens sont en mal à leur en trouver un ? C’est vrai que presque tout le monde a de tout et que les productions de masse n’ont plus de sens, ici, mais à l’échelle du monde, ce n’est pas vrai ? Serait-ce en fait cela, le sens des bruits que fait le monde qui vient : l’élargissement de la « civilisation » locale à la planète entière ?
Si telle est la question, il me semble que ces bruits dénoncent un brassage de conflits d’intérêts entre trop et pas assez : subsistance suffisante ici, mais plus à l’échelle de la planète. Paix acquise localement mais pas partout. Bonheur ayant perdu le sens ici mais pas encore eu de corps ailleurs. Il me semble que nous devrions nous remettre en route en n’emportant que ce qui est utile pour la survie de l’espèce et le bonheur de la civilisation qu’elle aura su adapter, mais pour la planète entière. Justement, elle se rappelle bien à nous en murmurant son réchauffement, sa poussée de fièvre à elle. A 39° au lieu de 37°, on est malade, seul, si on n’est pas contagieux. 2° en plus et le réchauffement est planétaire, lui !
Qu’est-ce qui évolue ?
Si les progrès reposent essentiellement sur l’augmentation externe de nos capacités physiques, sur nos capacités externes de communication et sur l’augmentation de nos ponctions en énergies fossiles, toutes planétaires également (vous avez remarqué), il me semble que le déficit soit le décalage entre les niveaux de lecture des évolutions et le niveau de gouvernance pour décider quoi en faire. Fondamentalement, toutes les régions du monde, voire tous les pays n’ont pas le même niveau d’évolution, ni matérielle, ni culturelle, ni sociale, surtout, mais chacun d’entre eux cherche son optimum. Et l’optimum de la planète n’est pas la somme de l’optimum de chacun, on le sait bien. Voilà, le sens de l’adaptation qui est en jeu, de l’innovation qui est attendue, de la remobilisation à fédérer pour l’espèce et la « civilisation », de la compréhension à partager, me semble-t-il. En regardant l’histoire, on peut y lire qu’il faut du temps et de l’expérience pour savoir ce que « brûler » veut dire : combien de guerres a-t-il fallut chez les « civilisés » pour qu’ils n’y jouent plus ? Maintenant, ils veulent aider les autres à ne plus y toucher. Mais savent-ils vraiment ce que « brûler » veut dire ? Difficile de comprendre pourquoi s’arrêter d’aller vers la bougie allumée…
Alors, pour nos Economies en panne d’inadaptation au monde qui a déjà changé la donne, de nos systèmes multicouches à en être devenus incompréhensibles, de nos certitudes rigides à en devenir obsolètes ou encore de nos doutes fragilisés par les amarres rompues qui nous déstabilisent au point de nous démobiliser, il n’y a que les lois connues de l’évolution pour y répondre avec un constat plus fort que les autres : ce n’est ni la taille, ni la puissance qui vous préserve, demandez aux dinosaures !
Alors vous les grosses ou les petites nations, mais aussi, vous les grosses et les petites entreprises, donnez à vos gens les moyens d’expérimenter le besoin d’adaptation pour survivre en leur faisant comprendre ce que « brûler » veut dire. Le crépitement du feu de notre histoire qui se consume et que l’on entend déjà se mêle à celui des Kalachnikovs qui tirent à l’aveugle sur notre insouciance de nantis qui en veulent toujours plus, alors que le reste du monde réclame que l’on partage. Mais faut-il donner ou vendre ? Terrible dilemme, mais piège absolu qui bloque toute issue. Sans doute est-ce dans la troisième voie, certainement d’ailleurs, autre que celle du milieu, que se trouve la réponse qu’il nous faut inventer.
Quelle astucieuse manipulatrice que dame Nature de nous imposer la réflexion de la gouvernance planétaire par le biais d’une poussée de fièvre environnementale ! Alors, Grands de ce Monde, où nous emmenez-vous ?
- Mais comment donner du sens à nos perceptions, Maître ?
- En te fixant un cap où t’emmener, disciple !
- Mais comment trouver son cap, Maître ?
- Tu as faim de quoi, disciple !
Novembre 2015
Gérard Leidinger