Billets d'Humeur
Les brèves (pas tant que ça !) de la mouette rieuse
Pour après, le Temps compté ou… Conté ?
S’il est une chose que la parenthèse nous aura donné, soignants luttant contre la montre comme confinés luttant contre l’inactivité, c’est, en particulier, notre rapport avec le temps. Nous venons de nous rendre compte qu’il existe alors que l’on court dedans sans le sentir comme quand on roule à vélo quand il souffle à la même vitesse et dans le même sens. En y regardant de plus près, au lieu de le compter, je me suis surpris à me le conter dans après.
Le temps des saisons
Des millénaires durant, le rythme du temps a été suivi par les saisons qui nous permettaient de compter les ans. Dans ces temps-là, j’avais soixante automnes à mon actif, mais le cycle était imperturbable, printemps, été, automne, hiver, le même pour tout le monde, maîtres ou valets, paysans ou commerçants. La lune et ses quartiers affinait un peu le cycle des saisons pour ceux qui avaient besoin de la nuit pour chasser, pendant que la course du soleil sur l’horizon nous aidait à ménager les efforts de la journée pour tenir la distance assidument. D’ailleurs, les plus scrupuleux s’étaient donnés le cadran solaire pour détailler tout ça. Dieu avait bien instauré la pause hebdomadaire pour les efforts, mais le temps n’en avait que faire et la traversait allègre, inexorablement, c’est dire son autorité !
Depuis cinq cents ans, on compte toujours les ans, avec le cycle de la Terre autour du soleil, que l’on avait compris entre temps, mais, le jour n’est plus repéré par le soleil et la lune : depuis cent ans, nous avons les trois-huit pour certains et la demi-journée pour les autres. Comprenez-moi, huit heures de travail, huit heures de loisirs et huit heures de sommeil pour le fameux métro-boulot, dodo des premiers, et douze de travail et douze heures de soucis pour les seconds plus « chronovores » ou « entrepreneurofages » ! Tous ont remplacé le sablier si mal commode à porter sur soi par la montre à quartz au poignet qui non seulement reprend la séquence de l’heure du cadran solaire même la nuit, mais descends à la minute voire à la seconde pour rythmer les gestes de l’opérateur dans le Takt time intransigeant. C’est dire son autorité !
Fort des progrès de maîtrise du temps, ou plutôt de la capacité de s’organiser à le remplir du plus de choses possibles au fur et à mesure de la finesse de l’intervalle pour le mesurer, il faut descendre maintenant au millième de seconde pour départager Mercedes de Ferrari sur le circuit automobile et la montre au poignet est connectée à l’horloge astronomique au cas où le décalage horaire viendrait dérégler le bel ordonnancement de notre horloge biologique qui, elle, ne subit pas l’implacable course au remplissage. C’est dire son autorité, à elle !
Le temps redistribué
Comme on a su dire stop pour le confinement, je me suis dit que l’on pourrait en profiter pour dire stop au remplissage du temps aussi absurde en réalité qu’inconséquent, pour me conter ce que pourrait en être la vie d’après en ayant pris sa leçon.
Je rappelai avec emphase le rythme des saisons pour oser faire le parallèle avec celui de notre vie. La chanson de Serge Reggiani ne parle-t-elle pas de ce couple, « elle au printemps, lui en hiver » ? Calons-nous donc sur ce découpage pour se donner des repères : le printemps jusqu’à 20 ans, l’été jusqu’à 35, l’automne jusqu’à 70 (oui, je sais, mais c’est pour inclure l’été indien), l’hiver pour le reste…
C’est au printemps que l’on sème et que l’on soigne les plantations pour qu’elles grandissent bien. C’est en été que l’on récolte ce que l’on a semé. C’est en automne que l’on profite des abondances et c’est en hiver que l’on se retourne pour consolider ce que l’on a appris et en tenir compte pour s’améliorer le printemps prochain.
Il m’est donc venu de calquer nos saisons de vie sur celles du temps ainsi : naître et apprendre à vivre bien, au printemps de notre vie comme aujourd’hui et passer son BAC, non, pas celui-là, mais le Brevet d’Aptitude à la Citoyenneté, pour reconnaître notre investissement et de notre persévérance dans nos apprentissages.
A l’entrée de l’été, le BAC en poche pour preuve de notre bonne volonté et de notre engagement sociétal d’après, nous pourrions récolter les fruits de nos efforts dans le droit d’aimer, de vivre en société respectueux de l’environnement, de se marier et de faire des enfants si affinités. Et pour les élever soi-même et leur donner à notre tour, tous les soins à ces graines de demain, nous prendrions notre retraite. Pleinement. Histoire de compléter notre sens de la vie avec le temps que l’on nous donne à la découvrir, mieux, de lui donner un sens pour lui accrocher notre étoile au lieu de se perdre dans le désert des indécisions ne sachant pas choisir, sur les panneaux proposés, une direction que l’on ne connait pas.
A la fin de l’été, riches de satiété, nous passons notre MBA, oui le Master en Besogne d’Apport, pour à l’automne profiter des abondances et, à notre tour, contribuer et apporter notre effort pour ce qu’il est nécessaire à la communauté. Pour prendre notre part de travail et de contribution à la société prévues dans notre engagement, nous en faisons le choix selon nos appétits, nos apprentissages, nos prédispositions et nos envies pour en avoir bien mieux compris ce dont il s’agissait en ayant pu voir tous les champs des possibles d’orientation dans les destinations des panneaux, en ayant découvert le monde tout au long de l’été. C’est donc le cœur vaillant et tout particulièrement motivés, voire impatients, que nous embarquons. Avec du vécu riche de rencontres et de brassages, on nous donne le droit d’enseigner à ce moment-là seulement, parce qu’avant on ne fait que répéter ce que l’on nous a enseigné. On nous donne les moyens et le pouvoir de représenter des courants de pensée vécus et en défendre les bienfondés pour assurer le meilleur à tous en étant candidat aux élections mais issu du monde ordinaire. On nous insuffle le devoir de préserver la capacité d’exister de la collectivité sans hypothéquer l’état du monde dont on a hérité pour le léguer amélioré de nos apprentissages et de nos respects, aux printemps à venir.
Et quand vient l’hiver, le sentiment du devoir accompli, on nous délivre la médaille du travail qui nous donne le droit d’entrer à l’Université. Rien de tel pour garder l’esprit en haleine, faire tourner les neurones parce que l’on se sait encore utile quand ce n’est pas pour le plaisir de pouvoir faire encore des projets et les vivre. Raconter ce qu’il est advenu de notre vie, et les écueils et les aubaines, d’ouvrier ou d’instituteur, de commerçant ou d’entrepreneur, pour alimenter la réflexion des richesses de chacun et proposer ce qu’il faudrait apporter de mieux à la marche du Monde pour que les générations à venir montent sur nos épaules et le voient encore plus loin et encore mieux. On ramasse les copies et c’est le conseil des sages, les plus impertinents et les plus audacieux parmi les Universitaires, qui donnent le ton et infléchissent le sens pour là où l’on s’emmène, sereins et fiers de ce qu’il en advient. Après, la neige enseveli notre corps, le vent soulève notre âme et le froid sidéral emporte notre éternité.
Ce serait vraiment chouette, autrement, après. Et, en même temps, on aurait réglé bien des différends. Mais c’est un autre temps… conté. Chiche !
Le disciple
– Mais c’est quoi ce temps dont tout le monde se plaint de ne pas en avoir assez, Maître ?
– C’est l’intervalle entre hier et aujourd’hui dans lequel on n’a pas pu faire tout ce qu’on voulait, Disciple !
– Mais alors il suffit de vouloir en faire moins pour ne plus avoir de souci de temps, Maître ?
– Oui, mais dans ce cas, tout le monde verrait que ce n’est qu’un problème de choix, Disciple !
Gérard Leidinger