Billets d'Humeur

Les brèves (pas tant que ça !) de la mouette rieuse

Quel Sens Donner à notre Agitation ?

Il s’est interpelé après avoir repris ce que je disais dans mon dernier article: « les humains de la fourmilière courent après le temps pour produire de l’argent avec lequel ils se fabriquent une image que les gardiens de la mode leur télédictent avec la sournoise perversité de l’éphémère pour entretenir cet irrésistible besoin de consommer." Et lui de poser la question : « Et dans quel but, quel sens y donnons-nous ? » C’est une question qui me hante depuis bien des lunes, à sonder les méandres de l’Evolution et leurs philosophes successifs et de creuser les limons des couches de croyances et de doutes pour se forger une réponse à soi, une option, une clé, quelque chose, en réalité, pour ne pas s’éteindre sur une impasse.
Merci Gurvan, de m’en donner l’impulsion.

Pas de but à atteindre

D’abord il est indispensable de lever toute ambiguïté : il n’y a pas de but. En dehors de mourir qui sonnera la fin de notre histoire pour laisser peut-être un peu de place et pour quelques temps seulement à notre mémoire chez nos proches, il n’est aucun objectif. Désolé de faire le rabat joie, aucun paradis à gagner ou enfer à punir, pour cette belle invention de l’âme qui donne une mystérieuse matière à la combinaison du corps et de l’esprit. Avec elle on peut faire semblant de prendre rendez-vous avec Dieu, juste après le panneau fin, et se convaincre ainsi, bien insidieusement, d’une éternité somme toute plus poétique que le néant de rien. N’êtes-vous donc pas surpris qu’après tous les découpages du corps depuis les entrailles jusque dans les synapses du cerveau personne n’a pu mettre la main sur cette « âme » insaisissable ! Pas la moindre trace sur le linceul d’une IRM ou d’un scanner. Rien ! C’est une éphémère et bien commode pensée qui dure l’espace de notre vie pour ceux qui en ont besoin et s’éteind avec elle quand l’esprit s’arrête.

S’il n’y a pas de but, il est tout de même un chemin, mais, du calme, entendons-nous là-aussi pour éviter toute sortie de route, ni autoroute, ni sentier : juste le compte à rebours des trois mille six cent secondes que la vie nous offre à consommer toutes les heures depuis notre premier cri en sortant jusqu’au dernier souffle en rentrant. Inexorablement, sans aucune station, sans aucun arrêt sur image, sans pouvoir suspendre ou mieux décliner, ne serait-ce que le temps d’une respiration plus profonde, ni la consommation, ni le débit, inéxorablement. Et comme pour l’âme, matière de la combinaison du corps et de l’esprit, la vie est la matière de la combinaison du temps, le même pour chacun, et de l’espace qui sépare le premier cri du dernier souffle, propre à chacun. La question du sens se pose alors non pas dans la direction que l’on doit prendre, puisqu’en dehors de Benjamin Button, c’est vers la mort que l’on va. D’ailleurs même lui y va, mais la sienne est plus douce puisqu’à sa fin à lui, il replonge pour neuf mois et après on perd sa trace. Mais on sait là, de source sûre, qu’un spermatozoïde va quitter un ovule juste avant le panneau début. Donc, s’il n’est même pas question du sens, il n’en reste qu’une : qu’est ce que l’on en fait ?

A chacune des secondes qui s’écoule ou presque, notre cerveau sanctionne le moment que l’on vit en plaisant ou déplaisant, en satisfaction ou en mécontentement, en plaisir ou en souffrance. Si bien, qu’il s’apprend à se prémunir des agissements qui entraînent la souffrance et à favoriser ceux qui génèrent du plaisir. De ce point de vue, nous ne sommes qu’une intelligence « artificielle » paramétrée sur des algoritmes qui se reprogramment pour notre plus grande bienveillance et mieux, celle des autres quand on la partage à l’image de l’histoire des baies rouges :
Deux naufragés s’échouent sur une île déserte loin des routes maritimes. Ils s’organisent pour survivre et décident de faire le tour de l’île, l’un dans un sens, l’autre dans l’autre. Soudain, l’un découvre l’autre, mort, sous un arbre de baies rouges dont sa bouche porte encore la trace. Il en déduit que les baies rouges sont mortelles. Comme c’est une histoire, bien longtemps plus tard, deux superbes naufragées s’échouent sur l’île. Après une si longue solitude, que pensez-vous qu’il leur dise en premier ?… Non ! … « Ne mangez pas de baies rouges ! ». C’est la loi de la communication dit Mac Luhan, c’est la loi de l’apprentissage collectif qui nous prémunit de la souffrance et favorise notre plaisir et mieux, ceux des autres quand on les partage. C’est la clé de notre évolution.

Ce que nous en faisons

S’il n’y a pas de but à ce compte à rebours pour des algoritmes qui se reprogramment pour faire du temps qui s’écoule une quête permanente du plaisir en se déjouant de la souffrance, il n’y aurait donc pas de sens non plus à cet insaisissable souffle qui fait battre le cœur et à permettre de les éprouver ? Désolé pour le vide que je mets en évidence, mais réjoui du coup de pouvoir vous dire que ce ne sont donc pas les circonstances que nous vivons qui influencent nos ressentis, mais ce que nous en faisons. Ne dit-on pas d’ailleurs, à tout malheur quelque chose est bon ! En voilà donc une bonne nouvelle pour convertir la frustration ou requalifier la déception : est-ce que j’en souffre au point de ne plus éprouver de plaisir ou le plaisir qu’elle permet de me procurer ne vaut-il pas la souffrance que je ressens comme l’effort que je dois consentir pour l’obtenir ? L’erreur fatale semble donc être de ne pas vouloir faire cet effort requis pour agir sur ces circonstances et transformer la souffrance en plaisir ou comprendre pourquoi elles le génèrent. Et partager la leçon.

J’en déduis pour répondre à la question de Gurvan ajustée en « qu’en faisons-nous ? », que c’est donc très simplement : apprendre des circonstances que les hasards de l’existence nous servent, à devenir une bonne personne. Et nous pouvons même préciser qu’une bonne personne c’est quelqu’un qui respecte la vie, les équilibres et les utilités, ce qui signifie qu’il s’abstient de toute agressivité, de tout abus et de tout gaspillage, que c’est quelqu’un qui tempère les circonstances, les ressentis et les espérances, ce qui signifie qu’il compatit à la souffrance, qu’il modère les appétits et qu’il raisonne les espérances, que c’est quelqu’un qui répand son enthousiasme, son énergie et ses apprentissages, ce qui signifie qu’il digère ses désillusions, qu’il dispense son énergie et qu’il partage ses leçons pour que les autres puissent en profiter. De quoi répondre toute une vie à la question : vivre ça sert à quoi ? Apprendre à devenir une bonne personne. Inlassablement. En fait, juste pouvoir se dire au poteau de fin «je ne suis pas passé à côté !»

Mais ça s’apprend où ?

Le disciple

– Pourquoi vit-on ce que l’on vit, Maître ?
– Pour apprendre de tous les hasards, ce qu’il t’est utile à être une bonne personne, Disciple !
– Mais alors ça sert à quoi d’être une bonne personne, Maître ?
– Les mauvaises détruisent le plaisir de la Vie, Disciple !

Gérard Leidinger

Posté le 17 juin 2020
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