Billets d'Humeur

Les brèves (pas tant que ça !) de la mouette rieuse

Rencontres de trois Types

Les humeurs en direct sur Twitter, par exemple, mais toutes les réactions instantanées sur les événements vrais ou faux de n’importe quel coin de la planète gravées sur tous les réseaux sociaux, les trésors de spontanéités et de points de vue ou de vues de ces points mis en pâture de la mastication vorace des opinions, étalent en réalité les trois comportements avec lesquels nous cheminons parmi les autres dans notre vie personnelle, professionnelle ou intime, indivisiblement : l’utopie, l’indignation et, plus rarement, l’engagement.

Le discours politique nous réseve un florilège de ces comportements, essentiellement d’ailleurs les deux premiers, plus discrètement le troisième, de peur des jugements des urnes, ou l‘art d’y aller sans trop laisser croire à sa détermination profonde « comme pour de vrai » disent les enfants qui imitent les grands. Le discours managérial n’est pas en reste avec le bienveillant qui rêve d’un collaborateur entreprenant et libéré mais se heurte à cette foutue cohésion qui le laisse un peu perplexe, de l’intrangisant dubitatif qui éructe sur un raté Client en tranchant les têtes et menaçant à tours de bras de sa colère en peur qu’on lui renvoie le dysfonctionnement, pendant que les autres, simplement, font avec la conviction qui les animent ce qu’ils pensent devoir faire et s’y tiennent, inspirés et apprenants.

I have a dream : l’utopie !
Apple, Microsoft, Google ou plus récemment Amazon, autant de réussites issues d’une utopie ! Combien ont avorté bien avant terme ou mortes prématurément ? Dommage pour elles mais peu importe, elles ont toutes été initialisées par une ambition, ont toutes libéré de l’énergie et créé une espérance. La mayonnaise prend ou pas, les relais se tissent ou pas, la spirale s’emballe ou pas : une cuillère à soupe d’idée, un zeste de bon sens et un grand bol de confiance en soi tenace ! Des fois, des fois pas.
Et à côté de ces monstres, combien de plus modestes, de plus localisées, de plus « humaines » dans le tissu si dense du foisonnement créatif ! Dans le monde associatif, dans la société civile, dans l’entreprise ?

Certes. Vu comme ça, tout va bien et les choses avancent ou presque. Mais, pendant ce temps, combien de rêves qui restent « rêve », combien d’utopies qui restent « utopiques » ? Au regard des résultats, quel gâchis ! Parce que la cuillère à soupe d’idée n’est qu’un soupçon d’idée sans se donner la peine de creuser un peu ? Parce que le zeste de « bon sens » a peur de se confronter à la réalité et ou au jugement des autres ? Parce la somme des choses à traiter dépasse la capacité du bol de confiance en soi dont il est besoin ? Sans doute un peu des trois, mais conséquence immédiate : l’utopie perdure et se noie dans le lac paisible de la nostalgie ou de la frustration en se gardant cette sécurisante opinion de soi, « avec un peu de chance ça aurait pu marcher ».
Et on meurt avec ou presque, rencontre du premier type !

« Non mais quelle honte ! » : l’indignation
Jusqu’à en faire un parti politique d’insoumis, l’indignation est un langage particulièrement apprécié et prolifique, voire un comportement très commode pour en être sans y être, mais avec conviction. Pour peu que le verbe soit choisi et l’angle singulier, vous vous dotez d’une réputation et d’une aura complaisante parce que vous cristallisez d’un coup une communauté de pensée partagée, parce que « partage » en toute bonne foi et en toute bonne conscience, démuni à priori, ou pas suffisamment motivé pour passer à l’acte. Mais compatissant. En toute sincérité, il n’y a aucun jugement de valeur de bien ou de mal sur ce « partage » voire même, c’est plutôt réconfortant de savoir que l’indignation est partagée, ce qui lui donne une certaine légitimité et, certainement, accrédite la culpabilité à l’objet de l’indignation : « ce n’est pas bien » ce « ce » qui provoque l’indignation.

Certes. De ce point de vue l’expression de l’indignation est fondamentalement utile. Mais pendant ce temps, combien d’actes indignes méconnus, combien d’indignations qui restent « indignes » ? Les dernières révélations et indignations sur les actes de harcèlement sur les femmes en sont un exemple probant. Mis en pâture de la mastication vorace des opinions, l’indignation fait mousse et retombe doucement dans l’écume des jours jusqu’à la prochaine étincelle qui remet le feu aux poudres pour un nouveau bain.
Et on retourne au quotidien ou presque, rencontre du second type !

Just do it : l’engagement !

Pas la manif des indignés avec banderoles et porte-voix, téléréalité et politique aux abois, non, en bout de France sous la menace des fonds de pension qui projettent de délocaliser en chine : ils ne rêvent pas, ni ne s’indignent, ils réfléchissent, retroussent les manches et font ! Résultat : moins cher de produire en Bretagne qu‘en Chine, transports inclus ! Moins délicat de produire en Finistère qu’en Turquie: oui, indignes-toi moins, analyses un peu plus et surtout, fais !

Que ce soit de l’utopie ou de l’indignation, sans l’engagement qu’elles doivent enchaîner, elles restent paroles. Pour que la mayonnaise prenne, il faut la battre, pour qu’un projet prenne forme, il faut le porter, pour qu’une opinion serve, elle doit devenir un exemple, un fait : la parole raconte, les faits, eux, parlent. Utopie ou indignation sans action restent quand même de l’inaction, non ?
Alors engagement du troisième type : faisons demain, dès aujourd’hui, comme ça plus d’incertitudes. Par exemple, l’argent au service de l’Homme et pas l’inverse ou encore l’Homme au service de la Nature et pas l’inverse. Zut, j’ai remarché dans une grande flaque d’utopie indignée. Quoique, si je commence par ne plus me servir ni de sachet ni de paille en plastique, les poissons ne mangeront déjà plus les miens. Si j’achète une deuxième boite de conserve avec celle que j’achète pour moi et que je la donne au resto du coeur, je peux rester indigné que des hommes aient faim, mais comme ça ils mangeront en attendant que mon indignation fasse son chemin.
Chiche !
– Comment faire les choses justes, Maître ?
– Ne rien faire contre la Vie, Disciple !
– Mais alors si la Vie est injuste avec moi, Maître ?
– C’est que toi tu marches à coté de tes sandales, Disciple !

Posté le 15 décembre 2017
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