Billets d'Humeur
Les brèves (pas tant que ça !) de la mouette rieuse
Sautez-vous encore comme Valéry Brumel ?
On prête à Woody Allen ce délicieux mot d’esprit : « l’avenir est le seul endroit au monde où j’ai l’intention de passer le restant de mes jours ! ». Mais à lire et découvrir les très nombreuses publications sur la prospective et l’innovation ou encore sur les nouveaux paradigmes explicatifs de cette inconfortable situation dans laquelle nous plonge le foisonnement multidimensionnel et précipité de la multitude des changements qui s’imposent à nous, de quoi cet avenir est-il réellement fait ? S’il est clair qu’avant ne reviendra pas, jamais (pour ceux qui espèrent encore), comment se préparer pour demain ?
Certains et pas des moindres disent qu’il est d’une extrême nécessité de considérer toutes ces idées comme des produits à manufacturer. Ce serait bon pour l’emploi puisque c’est de nouveautés qu’il faut doter les populations pour créer de la consommation, de la croissance, comme si la clé pour nous ouvrir demain c’est « plus ». Les nécessités de (sur)vie semblant, elles, de ce fait, être satisfaites ! D’autant que derrière chacune de ces idées nouvelles, il y a un nombre incalculable d’experts qui se proposent déjà de fabriquer ou mieux de nous vendre les moules ou mieux encore l’imprimante 3D qui va bien ! Et d’un seul coup, la projection devient crédible. Mais la nouveauté est « nouvelle » en quoi ? Pour « satisfaire » quel besoin réellement ?
Les réponses à ces questions sont nombreuses et quasiment toutes légitimes du point de vue du « mieux », voire de la préservation des ressources naturelles fossiles, encore faudrait-il disposer de quelques critères caractéristique de ce « mieux » si prometteur.
Attendons-nous donc à ce que tout ce qui provient des ressources naturelles non renouvelables change de nature dans les décennies qui viennent puisque, tant bien que mal, la conscience collective creuse son sillon sûrement, même si c’est trop lentement pour les plus sensibles (nécessairement les moins concernés économiquement!).
Attendons-nous donc à ce que tout ce qui est pénible pour l’Homme et les critères ont été définis dans le projet sur le sujet, fasse évoluer les réponses que l’on y donne aujourd’hui. Les applications sont aussi vastes que le spectre est large, autant dire qu’il y a du pain sur la planche à innover urgemment pour tous ceux qui apportent les réponses d’aujourd’hui s’ils veulent exister encore demain. L’éclairage sur le sujet a donné l’impulsion : elle est en marche. Le temps est compté à cause de la diversité et de l’emballement pour le « mieux ».
Attendons-nous donc à ce que tout ce qui est de la Nourriture subisse également une profonde mutation poussée elle par deux arguments contradictoires : l’un, pour le mieux, lié à la qualité nutritionnelle que les aliments doivent « à nouveau » contenir compte tenu des dégâts constatés par ce qui nous est proposé aujourd’hui. L’autre, pour la nécessité, lié à l’augmentation de la population mondiale qui fait que les prospectives ne nous disent rien qui vaille avec la mécanique de la subsistance d’aujourd’hui. L’eau potable en est une pièce maîtresse. « Mieux », mais il y a aussi de la nécessité.
Attendons-nous donc, et ce n’est pas un des moindres changements de paradigmes depuis la notion ancestrale de tribu, à ce que tout ce qui touche à la notion de repère de gouvernance change avec la nécessité de considérer les problèmes à l’échelle de la planète (les ressources fossiles, le réchauffement planétaire, par exemple, ou la subsistance de l’accroissement des populations). Les conséquences directes que l’on a nommées la « mondialisation » et qui pèsent directement déjà sur notre vie quotidienne, proviennent de ce décalage dans l’évolution en laissant d’aucun l’exploiter bien avant de le régler par les équilibres ou des ajustements. Prenez le paradoxe des « bas coûts » qui jouent honteusement avec des règles différentes à des jeux différents mais avec la même balle. Tant que ce «décalage» n’est pas objectivement traité, l’avenir où nous allons vivre ne peut qu’être incertain le temps des rattrapages (au mieux) et/ou des impatiences (au pire). Et de ce point de vue, les exploitations scandaleuses, les migrations massives auxquelles nous assistons comme les douloureuses et horribles incursions de désorientés kamikazes devraient nous alerter fondamentalement. Mais peu d’éclairages sur ces signaux… trop faibles encore, et pourtant ? Ou pas de gouvernance pour s’y atteler ? Ou trop d’intérêts en jeu pour… ? Pour dire que c’est pour «mieux», une explication ou un point de vue s’imposent.
Attendons-nous donc à ce que tout ce qui touche à notre mode de gagner de l’argent pour subsister et/ou pour vivre se repense depuis notre conception du travail jusqu’à notre relation avec lui en passant par la valeur intrinsèque d’échange qu’on lui attribue. Pourquoi acheter des pneus pour ma voiture alors que je peux acheter des kilomètres de roulage sans souci ? Alors pourquoi contracter pour une durée indéterminée votre compétence au lieu d’acheter votre contribution au résultat pour la durée d’un projet ? Le lieu de travail, les horaires font partie intégrante de ce contrat d’aujourd’hui. Mais avec le télétravail, comme il existe déjà, en descendant l’escalier chez moi pour monter dans mon bureau à 2h du matin parce qu’une idée pour ce projet m’a réveillé, je me casse une jambe. Est-ce que c’est encore un accident du travail du point de vue des règles d’aujourd’hui ? Et qu’en est-il, dans ce cas, des 35 heures ? Plus interrogatif encore et les réactions à la loi Travail illustrent bien la peur qui s’y cache, si c’est la flexibilité qui doit gérer dorénavant les relations contractuelles entre l’employeur et l’employé –faut-il dire entre client et fournisseur ou entre besoin et compétences ?- qu’advient-il de mon statut au regard des institutions qui, elles, s’appuient sur la stabilité ? Demandez à un intérimaire qu’il vous raconte ses difficultés pour obtenir un prêt de son banquier, une location d’un bailleur ou pour donner un repère à ses enfants. Qu’à cela ne tienne, on me promet donc de la flexibilité stable (sécurisée). Tu peux m’en faire un dessin, j’ai du mal à concevoir ou je n’ai pas tout suivi ?
Certes le changement ne peut se faire que par petits bouts, mais si personne n’a une vue d’ensemble de ces changements dans un projet, il ne peut y avoir que des réticences qui se cristallisent en résistances selon le degré d’inquiétude qu’il engendre. Ou alors, il est brutal : vous êtes licencié ! Et là tout ou presque change d’un coup… Qui diable travaille sur cette vision d’ensemble ? Où sont-ils ceux qui proposent les moules ? C’est comme s’ils découpaient les morceaux d’un puzzle sans avoir l’image d’ensemble qu’il faudra reconstituer. Et ils s’étonnent des réactions ?
A la lecture du vertigineux mais foisonnant « Révolutions invisibles* », vous pourrez nourrir votre regard et votre imaginaire sur le monde qui vient inexorablement : « On a surpris une lampe led en train de copier l’éclat d’une luciole », « au grand banquet de la nature, point de couvert disponible pour tous », « à petits pas, gagner du temps à le perdre… », pour ne citer que quelques chapitres éclectiques à assembler dans une esquisse, à défaut de pouvoir en faire un projet cohérent. Ce que l’on y apprend, en tout état de cause, à défaut de l’avoir appréhendé, c’est qu’il nous invite déjà à faire évoluer notre façon de regarder, d’entendre et de penser demain matin. Vous viendrait-il à l’idée de conquérir la médaille d’or aux prochains jeux olympiques de saut en hauteur en utilisant la technique de Valéry Brumel ? Non bien sûr parce que la technique que l’on avait baptisée le Fosbury Flop –presque sous forme de boutade par qu’il avait fait sourire tout le monde en 1968-, abaisse considérablement la hauteur du centre de gravité du corps à soulever pour passer au-dessus de la barre. Regardez ou attendre le monde qui vient avec les repères d’aujourd’hui, c’est ne pas tenir compte de l’abaissement possible du centre de gravité de l’interdépendance des facteurs qui contribuent à la Qualité de la Vie qu’il faut faire passer au-dessus de la barre à venir :
Si le monde change, pourquoi vouloir, coûte que coûte, continuer à prendre une diligence pour s’y rendre ? Vous souriez ?
Si le monde a déjà changé, pourquoi vouloir, coûte que coûte, continuer à utiliser le télégraphe pour communiquer avec lui ? Vous souriez aussi ?
Si nous changeons notre monde, pourquoi vouloir, coûte que coûte, continuer à le vivre chacun par son petit bout d’aujourd’hui ? Ah, vous soufflez ? Tiens…
C’est bien d’un puzzle entier qu’il s’agit, et non de quelques pièces à redéfinir par ci par là sans mesurer les impacts sur l’image entière, surtout le temps de faire et de comprendre ce qui y change.
Depuis le feu, la roue, l’écriture, l’imprimerie, le cheval-vapeur, l’ordinateur, l’Odyssée de l’Evolution a sans cesse bousculé ses propres certitudes. Pour y survivre, une seule clé : s’adapter !
- Grandir est-il un progrès, Maître ?
- Comme rapetisser, Disciple !
- Mais comment savoir ce qu’est un vrai progrès, Maître ?
- Est-ce que tu t’y es adapté, Disciple ?
* révolutions invisibles F. Augagneur et D. Rousset, Editions LLL
article déjà publié sur PULSE linkedIn en mars (édition Orgop’ pour compléter et le ranger dans la publication de ceux de la mouette)